(Bogota) Après des mois d’hésitation et d’atermoiements, les autorités colombiennes ont finalement déclaré comme « espèce invasive » les célèbres hippopotames du défunt narco Pablo Escobar, envisageant désormais clairement « l’option nécessaire » de les abattre.

Après une réunion d’un Comité spécialisé, « il a été décidé, sur la base d’études techniques et scientifiques, d’inclure l’hippopotame dans la liste des espèces invasives », a annoncé vendredi le ministère de l’Environnement.

L’étude, réalisée par l’Institut Alexander von Humboldt et l’Institut des sciences naturelles de l’Université nationale, a « révélé les risques environnementaux de l’invasion de l’hippopotame dans des écosystèmes majeurs, avec un possible impact sur des espèces endogènes de Colombie ».

Il s’agit d’une première étape avant de « définir des actions concrètes concernant la situation de l’espèce dans le pays », a prévenu le ministère.

Le baron de la drogue Pablo Escobar a laissé à la Colombie cet héritage encombrant et bien inattendu : des hippopotames qui, presque trente ans après sa chute, vaquent en liberté dans les eaux du fleuve Magdalena.

Cette colonie de plus d’une centaine de bêtes est aujourd’hui réputée être la plus grande de ces animaux hors d’Afrique. Elle est la descendance directe d’un couple importé par Escobar, au sommet de sa gloire, pour le zoo de son hacienda de Napoles, à une centaine de kilomètres au sud de Medellín.

À la mort d’Escobar, abattu en 1993 par les forces de sécurité, les animaux avaient été abandonnés à leur sort, alors que l’immense villa était elle aussi laissée à l’abandon.

Flamants roses, girafes, zèbres et autres kangourous de l’animalerie avaient été vendus à des zoos. Laissés sur place, sans prédateur, les pachydermes se sont multipliés, devenant une attraction pour les médias du monde, mais surtout un problème environnemental et une menace pour les habitants de cette région montagneuse et tropicale.

« Y compris la chasse »

Selon les estimations, l’envahissante colonie pourrait quadrupler d’ici dix ans.  

« Une chose que la Colombie ne peut pas permettre est que cette espèce se développe sur son territoire », souligne Manuel Rodriguez, ancien ministre colombien de l’Environnement (1994-1997).

Bien que le plan des autorités n’ait pas été divulgué, M. Rodriguez a pris part à sa conception. Il explique avoir demandé à l’exécutif d’utiliser « toutes les mesures » pour arrêter l’expansion des mastodontes, « y compris la chasse ».

Depuis dix ans, les scientifiques de Cornare, une agence étatique régionale de protection de l’environnement, mènent un programme de stérilisation de ces hippopotames.

À ce jour, ils ont réussi à stériliser chirurgicalement une dizaine d’individus, et 40 autres avec un médicament.

Mais « tout ce qui concerne les hippopotames est complexe, coûteux et dangereux », résume David Echeverri, responsable de Cornare. Et malgré leurs efforts pour capturer, endormir et castrer ces animaux pouvant peser jusqu’à presque deux tonnes, leur population continue de croître. « Pour une opération réalisée, dix animaux naissent », déplore M. Echeverri.

Le médicament GonaCon, administré à l’aide de fléchettes, facilite la tâche, mais il reste coûteux (environ 1000 dollars par individu) et Cornare n’a actuellement plus de doses.

« L’abattage reste sur la table. C’est une option nécessaire […] elle pourrait être la dernière issue pour ne pas laisser le problème s’aggraver », avance ce spécialiste.

L’invasion des hippopotames dans la région chaude du Magdalena Medio est un problème « sans précédent » et « dangereux », renchérit l’ancien ministre Rodriguez.

Il s’agit de la seule espèce invasive de cette taille dans le monde, avertit-il, jugeant que pêcheurs et villageois des alentours sont « en danger ». Deux attaques ont été enregistrées à ce jour, qui n’ont heureusement entraîné que des blessures.

Sous ses airs paisible et pacifique, l’imposant quadrupède peut se révéler particulièrement agressif et violent. Les attaques mortelles sont courantes en Afrique, où il est responsable de centaines de morts chaque année, loin devant les félins, les crocodiles ou les éléphants.

Le lamantin, un énorme herbivore doux qui nageait librement dans le bassin du Magdalena Medio jusqu’à l’arrivée de son concurrent africain, est également menacé, tout comme plusieurs espèces de poissons endogènes, ajoute-t-il.

Au début de l’année, un militant des droits des animaux et candidat aux élections législatives de mars prochain, Luis Domingo Gomez, a proposé de créer un « sanctuaire » pour ces hippopotames, financés sur des fonds publics et privés.

Mais les experts s’accordent pour juger cette proposition coûteuse et au final nuisible à l’écosystème.

« Allons-nous maintenir un sanctuaire pour hippopotames qui menace le lamantin ? », critique M. Rodriguez.

« Les espèces endogènes ont la priorité en matière de conservation sur les espèces invasives », a tranché « sans hésitation » dans un récent tweet, la biologiste spécialiste des lamantins, Nataly Castelblanco.