Le régime nicaraguayen, qui avait réprimé dans le sang en 2018 un important mouvement de protestation, n’entend pas prendre le risque que son pouvoir soit contesté de nouveau lors du scrutin présidentiel prévu en novembre.

Quatre opposants potentiels au dirigeant sandiniste Daniel Ortega, qui sollicitera un quatrième mandat d’affilée, ont été appréhendés au cours des derniers jours et font face à de graves accusations susceptibles de les mettre hors jeu sur le plan politique.

La victime la plus en vue de la purge, Cristiana Chamorro, a été arrêtée début juin et se retrouve assignée à résidence dans la capitale, Managua. La femme de 67 ans est accusée de malversations financières en lien avec les activités d’une fondation nommée en l’honneur de sa mère, Violeta Barrios de Chamorro, qui a remporté la présidence en 1990 et dirigé le pays jusqu’au retour des sandinistes en 1997.

Les accusations reposent notamment sur une loi visant à empêcher le financement étranger d’organisations de la société civile nicaraguayenne. Elle s’inscrit, selon Amnistie internationale, dans une série de nouvelles restrictions approuvées par le Parlement, sous contrôle du régime, pour limiter de façon draconienne la liberté d’expression et d’association dans le pays.

  • Des journalistes sont dispersés par la police devant la demeure de Cristiana Chamorro, figure de l’opposition assignée à résidence au début du mois de juin.

    PHOTO INTI OCON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Des journalistes sont dispersés par la police devant la demeure de Cristiana Chamorro, figure de l’opposition assignée à résidence au début du mois de juin.

  • La journaliste Cristiana Chamorro, en mai dernier

    PHOTO INTI OCON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    La journaliste Cristiana Chamorro, en mai dernier

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Arturo Cruz, un ancien ambassadeur du Nicaragua aux États-Unis, a été arrêté la fin de semaine dernière en vertu d’accusations de « trahison » et placé en détention préventive, pour une période de trois mois.

Félix Maradiaga, un autre opposant à Daniel Ortega qui devait représenter dans les urnes des organisations civiles ayant soutenu le soulèvement survenu il y a trois ans, fait l’objet d’une enquête pour avoir supposément tenté d’organiser, avec l’aide de puissances étrangères, des « actes de terrorisme et de déstabilisation ».

Kai Thaler, un spécialiste de la région rattaché à l’Université de Californie à Santa Barbara, note que Daniel Ortega et ses proches cherchent, par cette vague d’arrestations, à envoyer un message sans équivoque à la population avant la tenue de l’élection.

« Le message est que personne n’est intouchable […] Si même des personnalités connues et influentes peuvent être appréhendées, ça signifie que les gens ordinaires ne sont pas protégés et s’exposent peut-être même à pire » en cas de contestation, relève le chercheur.

Le mouvement de protestation de 2018, qui avait débuté en réaction à une réforme controversée de l’aide sociale, a été durement réprimé par la police et des paramilitaires cagoulés qui s’affichaient ouvertement aux côtés des forces de l’ordre, témoignant de leur proximité avec le régime.

Bien qu’il y ait eu plus de 300 morts, dont de nombreux manifestants atteints par balle à la tête lors d’un évènement particulièrement sanglant, aucun agent de l’État n’a été sanctionné, note M. Thaler.

Le régime, dit-il, a maintenu la répression après le retour au calme dans le pays en utilisant de façon plus discrète les forces policières et le système judiciaire, sous contrôle du régime, pour intimider et harceler les opposants et tenter du même coup de limiter le risque de débordements populaires.

« Otages de la dictature »

Le secrétaire général de l’Organisation des États américains, Luis Almagro, a fortement critiqué cette semaine l’arrestation de Mme Chamorro et d’autres candidats potentiels au scrutin présidentiel en relevant que le pays se dirige vers « les pires élections possibles ».

« Des actions de cette nature retirent toute crédibilité politique au gouvernement et aux organisateurs du processus électoral », a-t-il souligné.

Le gouvernement américain a aussi haussé le ton en arguant que la répression en cours dans le pays confirmait que le président du Nicaragua est un « dictateur » qui doit être traité « comme tel » par la communauté internationale.

Le département d’État a annoncé du même coup de nouvelles sanctions financières visant des caciques du régime, dont la fille de Daniel Ortega, portant à près d’une trentaine le nombre de personnes touchées.

Kai Thaler pense que ces mesures sont peu susceptibles de faire fléchir le gouvernement alors que des sanctions plus générales risqueraient surtout de pénaliser la population, déjà durement affectée par l’impact sanitaire et économique de la pandémie de COVID-19.

Toute intervention américaine, dit-il, offre par ailleurs au régime l’occasion de se poser en modèle de résistance face à « l’impérialisme yankee ».

Selon l’Agence France-Presse, le gouvernement nicaraguayen a d’ailleurs dénoncé les nouvelles sanctions financières des derniers jours comme des mesures « illégales » et « arbitraires » confirmant la complicité des opposants détenus et leur volonté de « vendre la patrie à l’étranger ».

Carlos Fernando Chamorro, l’un des journalistes nicaraguayens les plus connus, frère de Cristiana Chamorro, assure dans un récent éditorial que le régime est appelé à disparaître et que le milieu des affaires et les dirigeants religieux du pays doivent faire monter la pression pour précipiter sa fin plutôt que d’attendre qu’il « implose sous son propre poids ».

« En attendant, l’escalade répressive ne va pas s’arrêter. Tous les Nicaraguayens, sans défense, sont les otages de la dictature », dit M. Chamorro.