(Rio de Janeiro) Ancien métallurgiste devenu le président le plus populaire de l’histoire du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva s’est lancé un nouveau défi à 75 ans : reconquérir le centre pour obtenir un troisième mandat.

Même si elle n’a pas officiellement annoncé sa candidature à la présidentielle de 2022, l’icône de la gauche semble se préparer et sait qu’elle devra faire figure de rassembleur pour battre Jair Bolsonaro.

En 2018, Lula était au fond du trou : emprisonné pour corruption, il a assisté, impuissant, à l’élection facile de ce candidat d’extrême droite qui a surfé sur le rejet d’une partie de la population vis-à-vis de la gauche ayant gouverné le pays pendant 13 ans.

Une victoire face à Jair Bolsonaro l’an prochain serait une belle revanche pour l’ex-président (2003-2010), dont l’image a été ternie par les scandales de corruption.

Celui qui, enfant, cirait des chaussures pour aider sa famille à joindre les deux bouts dans le nord-est du Brésil est habitué à renverser les situations.

Pour revenir au sommet de l’État, il lui faut reconquérir les milieux d’affaires et les classes moyennes. Donc, montrer un visage modéré dans un Brésil plus polarisé que jamais depuis l’élection de Jair Bolsonaro.

« Lula est versatile, il a fait des allers-retours lors des 40 dernières années, de l’extrême gauche dans les années 80 à des alliances au centre dans les années 2000 », rappelle Oliver Stuenkel, politologue à la Fondation Getulio Vargas.

« Maintenant, il est de retour en mode gouvernement, il se positionne clairement comme un centriste », ajoute-t-il.

Nombreux compromis

Quand il est redevenu éligible en mars, après que la Cour suprême a annulé ses condamnations, Lula a aussitôt tiré à boulets rouges sur Jair Bolsonaro, fustigeant ses « décisions imbéciles » face au coronavirus, qui a fait plus de 450 000 morts au Brésil.

Mais il a aussi tenté de rassurer. « N’ayez pas peur de moi. On dit que je suis radical parce que je veux attaquer les problèmes du pays à la racine », a-t-il déclaré.

Et même s’il a dit dans ses dernières interviews qu’il n’avait pas encore pris de décision définitive sur une candidature, Lula a lancé les grandes manœuvres politiques.

Au début du mois, il s’est rendu à Brasilia pour une série de rencontres avec des personnalités politiques qui comptent, de gauche comme de droite.

Lula a ensuite déjeuné à Sao Paulo avec son prédécesseur de centre droit Fernando Henrique Cardoso (1995-2001), qui l’a battu lors de deux élections présidentielles.

Ils ont laissé les anciennes rivalités de côté le temps d’une photo publiée sur les réseaux sociaux et M. Cardoso a assuré qu’il le soutiendrait s’il arrivait au second tour face à Bolsonaro.  

« Nous avons déjà vu des résultats immédiats de ces rencontres, en ce qui concerne les élites politiques. Des leaders de nombreux partis lui ont tressé des louanges ou ont au moins été cordiaux avec lui », estime Mayra Goulart, politologue de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro.

Lula, qui a déjà disputé cinq élections présidentielles, a connu trois défaites cuisantes avant d’accéder à la fonction suprême.

Lors de la campagne de 2002, il avait misé sur un changement de son image : barbe finement taillée, quelques kilos en moins et modération de son discours.

Devenu président, il a accepté de nombreux compromis avec les marchés, profitant du boom économique pour lancer d’ambitieux programmes qui ont fait sortir des millions de Brésiliens de la pauvreté.

Quand il a passé le témoin à Dilma Rousseff, sa popularité tournait autour des 80 %.

« Candidats de la troisième voie »

Mais aujourd’hui, des millions de Brésiliens ne veulent ni de Lula ni de Jair Bolsonaro. Comme en 2018, quelque 30 % des électeurs vont s’abstenir ou voter blanc ou nul. Sur les 70 % restants, les sondages indiquent que Bolsonaro et Lula auront chacun 25 %.

« Un centriste aura beaucoup de mal à s’imposer », estiment les consultants d’Eurasia Group.

Déjà se bousculent les candidats possibles : gouverneur, ex-ministre, patron d’entreprise, homme de télévision, et même un ex-juge, Sergio Moro, celui-là même qui avait fait emprisonner Lula, et fut ministre du gouvernement Bolsonaro avant d’en démissionner.

« Le secteur qui crée le plus d’emplois au Brésil est celui des candidats de la troisième voie », a ironisé le magazine Veja.

Beaucoup sont à peine connus au plan national. Lula, lui, pour son retour, voit au-delà des frontières : il a donné des interviews au Guardian britannique et à la star de la chaîne américaine CNN, Christiane Amanpour.