Alors que plusieurs pays enregistrent, vaccins aidant, des progrès marqués dans leur lutte contre la pandémie de COVID-19, le Brésil s’enfonce encore dans la crise, faisant craindre le pire pour les semaines à venir.

Le président d’extrême droite Jair Bolsonaro continue pendant ce temps de nier la gravité du virus et nuit, par ses critiques constantes de mesures sanitaires élémentaires, à l’action d’élus régionaux appelant urgemment la population à redoubler de prudence.

Rafael Soares Gonçalves, chercheur rattaché au département de travail social de l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, relève que le nombre de nouveaux cas quotidiens de contamination et de décès, alimentés par la diffusion de dangereux variants, est en hausse dans de nombreuses régions du pays.

Le Brésil, qui compte près de 260 000 morts de la COVID-19 sur une population de 212 millions d’habitants, en a enregistré 1910 de plus dans la journée de mercredi, selon l’Agence France-Presse, battant le record de 1614 établi 24 heures plus tôt alors que les hospitalisations grimpent et menacent de submerger de nombreux établissements.

« Le système de santé de plusieurs États est en train de s’effondrer », prévient M. Soares Gonçalves, qui craint de voir le Brésil se transformer en « paria de la planète » si les autorités ne réussissent pas à redresser la barre rapidement.

« On aura beaucoup de mal à voyager, en particulier si de nouveaux variants se développent », dit-il.

PHOTO ERALDO PERES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jair Bolsonaro, président du Brésil

Ratés de la vaccination

Un chercheur de l’Université Duke, Miguel Nicolelis, a indiqué mercredi au quotidien The Guardian que le risque de mutation associé à la « prolifération » du virus en sol brésilien risquait de compromettre la lutte planétaire en cours.

« Quel est l’intérêt de sortir l’Europe ou les États-Unis de la pandémie si le Brésil continue de servir d’incubateur pour le virus ? », a-t-il noté.

Les difficultés du Brésil sont exacerbées par les ratés de la campagne de vaccination, qui a permis à ce jour de protéger environ neuf millions de personnes, sur une population de plus de 200 millions.

Le gouvernement de Jair Bolsonaro, sceptique quant à leur nécessité, a tardé à placer des commandes, forçant les dirigeants d’États régionaux mais aussi de simples municipalités à s’organiser pour trouver les précieuses doses, qui viennent pour l’heure principalement de Chine.

La situation est d’autant plus choquante que le pays a une longue expérience en matière de vaccination de masse et dispose des infrastructures requises pour procéder efficacement si la question de l’approvisionnement se règle, note M. Soares Gonçalves.

« Il n’y a pas de stratégie coordonnée et centralisée de lutte contre la pandémie. L’attitude de Bolsonaro est de dire que les durs peuvent résister sans problème au virus et que ceux qui meurent sont des mous », souligne Jean Daudelin, un spécialiste du Brésil rattaché à l’Université Carleton qui reproche au chef d’État d’alimenter le fatalisme d’une partie de la population.

« Ça va être un désastre tous azimuts », relève M. Daudelin, qui s’alarme de constater que le ministère de la Santé tarde à assurer le financement accordé aux régions pour les lits en soins intensifs, contribuant à l’engorgement actuel.

PHOTO ADRIANO MACHADO, ARCHIVES REUTERS

Manifestation réclamant la destitution du président Jair Bolsonaro pour sa gestion de la pandémie

James Green, un spécialiste d’Amérique latine rattaché à l’Université Brown, note que le gouvernement central sous-finance depuis des années le système de santé public, dont dépend 75 % de la population du pays.

« Bolsonaro et son gouvernement veulent qu’il soit ultimement privatisé et font tout pour le miner », indique le chercheur, qui qualifie de « génocidaire » l’approche suivie par le président face à la pandémie.

Sa gestion de la crise, inspirée largement de celle qui était préconisée par l’ex-président américain Donald Trump, risque de lui coûter cher à terme sur le plan politique, prévient M. Green, particulièrement si le nouveau dirigeant des États-Unis, Joe Biden, réussit à atteindre ses objectifs en matière de vaccination et à relancer l’économie alors que le Brésil s’enlise.

Un récent sondage paru dans la Folha de S. Paulo indique que la proportion des Brésiliens approuvant du travail de Jair Bolsonaro a chuté de six points entre décembre et janvier, passant de 37 % à 31 %, alors que le nombre de personnes carrément insatisfaites grimpait de 8 points pour s’établir à 40 %.

Rafael Soares Gonçalves estime que la chute est « importante ». Et il n’exclut pas qu’elle se poursuive même si le président peut continuer de compter envers et contre tout sur un « noyau dur » ultraconservateur représentant environ le quart de la population.

« Leur logique est difficile à comprendre », dit le chercheur.