(La Havane) Patria y vida, titre d’une chanson de rappeurs cubains devenue virale sur les réseaux sociaux en prenant le contrepied du slogan révolutionnaire « Patria o muerte », hérisse le gouvernement socialiste de La Havane qui dénonce une provocation.

Le clip de Patria y vida (La patrie et la vie), enregistré dans la capitale cubaine et à Miami, en Floride, comptabilise plus de deux millions de vues sur YouTube depuis son lancement le 16 février.

S’y produisent ensemble le duo Gente de Zona, les chanteurs Descemer Bueno et Yotuel Romero, tous installés en Floride, et les rappeurs de Cuba, El Funky et Osorbo. Ce dernier, de son vrai nom Maykel Castillo, est notamment connu sur l’île pour tester les limites de la liberté d’expression, ce qui lui a valu 18 mois de prison en 2018.

« C’est terminé (….) le peuple est fatigué » clame la chanson qui appelle à une « nouvelle aube » sur l’île, en alignant les critiques contre le gouvernement et l’héritage de la révolution de 1959, dont il détourne l’emblématique « Patria o muerte » (La patrie ou la mort).

Le clip fait également référence à la mobilisation historique du 27 novembre, quand quelque 300 artistes s’étaient rassemblés pendant une quinzaine d’heures face au ministère de la Culture pour exiger plus de liberté d’expression.

Sans surprise, le président Miguel Diaz-Canel, la quasi-totalité de la classe politique cubaine et les médias officiels ont vivement répliqué. Le quotidien d’État Granma a ainsi qualifié la chanson de « grossière ingérence politique » contre la souveraineté nationale.  

Le chef de l’État a réagi pas moins de quatre fois sur Twitter depuis le lancement de la chanson, multipliant les références à d’autres artistes cubains pour allumer un contre-feu.  

« Votre chant provocateur ne me fait pas peur, ni ne me met en garde ; je sais que tant que brillera le fort soleil de la dignité, personne ne se rendra ici, ni le socialisme, ni la patrie, ni la mort », a tweeté le chef de l’État en citant un extrait d’un poème de l’écrivaine Tomasita Quiala.

Dans une contre-offensive, le régime a rassemblé mercredi soir devant le ministère de la Culture des dizaines d’artistes de différentes disciplines sympathisants du gouvernement qui ont célébré en musique le héros national Jose Marti.

« Blessures ouvertes »

La cohabitation entre culture et la révolution socialiste à Cuba n’a jamais été un long fleuve tranquille depuis que Fidel Castro (1926-2016) a défini en 1961 la politique culturelle par cette formule : « Dans la révolution, tout ; contre la révolution, rien ».  

Ces derniers mois de nouvelles tensions ont émergé, alors que les demandes de la société civile en faveur de plus de libertés se font plus pressantes depuis l’arrivée de l’internet sur l’île en 2018. La mobilisation du 27 novembre, spontanée et relayée via internet, a d’ailleurs pris par surprise les autorités.

Pour Maria Isabel Alfonso, spécialiste de la culture cubaine à l’Université St. Joseph à New York, la vive réaction des autorités à la chanson « est la preuve que jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement cubain est incapable d’adopter une position de tolérance à l’égard des manifestations artistiques qui critiques les failles du modèle actuel ».  

Mais sur l’île, le clip fait aussi l’objet de critiques et les réseaux sociaux n’échappent pas la controverse.  

L’historien de la musique, Emir Garcia Meralla, a dénoncé un « pamphlet politique de deuxième catégorie ». « Aucune chanson ne va provoquer de l’instabilité dans ce pays », assure pour sa part le politologue Rafael Hernandez qui dénonce l’initiative d’une « droite récalcitrante ».  

Les reproches visent aussi des artistes qui sont devenus célèbres dans leur pays d’origine avant de commencer à le critiquer depuis l’étranger.

Des internautes rappellent ainsi que lors d’un concert en 2018 dans un stade bondé de la capitale, les membres de Gente de Zona, très populaire sur l’île mais désormais installés à Miami, avaient salué publiquement la présence de Miguel Diaz-Canel.  

« En résumé, la controverse autour du clip Patria y vida révèle que les blessures entre les Cubains vivant sur l’île et à l’étranger sont toujours ouvertes », analyse pour l’AFP Jorge Duany, directeur de l’Institut de recherche cubain de l’Université internationale de Floride.  

« Les frontières idéologiques entre Miami et La Havane se sont à nouveau renforcées », estime-t-il.