(Caracas) Professeurs avec des salaires minuscules en raison de l’hyperinflation, élèves devant choisir entre « manger et étudier », infrastructures dégradées… L’Université centrale du Venezuela fête ses 300 ans dans la crise.

« On n’arrive à pas croire qu’on soit tombés aussi bas », se morfond Daniel Teran, 43 ans, docteur en Histoire, professeur de l’université UCV dont le salaire mensuel est de 11 dollars, soit de quoi acheter deux kilos de viande.

Il survit en donnant quelques cours dans le privé, en collaborant à des projets à l’étranger ou avec des traductions.  

« Je continue par vocation », assure quant à lui Antonio Silva, professeur d’informatique de 51 ans, qui gagne entre 8 et 10 dollars par mois, alors que ses collègues d’Amérique du Sud gagnent entre 2000 et 5000 dollars.

Selon l’ONG Observatoire internationale des universités, un professeur sur trois n’a pas assez d’argent pour manger trois repas par jour.

Conséquence : de nombreuses chaires sont vacantes faute d’enseignants.  

L’UCV a perdu 1200 de ses 9000 salariés ces quatre dernières années.  

Le pays s’est enfoncé dans une crise sans pareille depuis 2013, et le PIB par habitant de ce pays pétrolier est tombé à la hauteur de celui de Haïti.

Corps et âme

« Je ne peux pas juger les professeurs. Avec de telles conditions, c’est normal », souligne Rianny Rincones, une étudiante.  

Les étudiants désertent eux aussi : l’UCV compte quelque 35 000 étudiants, un tiers de moins qu’en 2015.

« Beaucoup doivent choisir entre manger et étudier », souligne Teran.

L’UCV a été fondée le 22 décembre 1721 à l’époque coloniale espagnole. Ce chef-d’œuvre architectural a été déclaré patrimoine de l’humanité de l’UNESCO en 2000, mais son état s’est dégradé.  

Récemment, des ouvriers ont sorti peinture et ciment pour « récupérer ce patrimoine », selon l’expression du président vénézuélien Nicolas Maduro, qui accuse l’UCV d’avoir été « abandonnée ».  

L’État vient d’investir 40 millions de dollars dans sa réfection, soit le double du budget de fonctionnement et salaires de l’université en 2022, ou 40 fois le budget 2021.  

Les budgets annoncés en bolivars en début d’année voient leur valeur réelle baisser au fur et à mesure que l’année avance, dans un pays en proie à une hyperinflation qui mine l’économie.  

En fin d’année, la dépréciation du bolivar est telle que le budget alloué ne correspond plus à rien. Les installations ne sont donc plus entretenues.

En 2020, une portion de près de 300 mètres de passages couverts de l’université s’est écroulée sans faire de blessés (l’université était fermée en raison de la pandémie).

« L’université a un corps et une âme », estime Paulina Villanueva, professeure retraitée de l’université, qui parle de « 25 ans d’abandon ».

Certains dénoncent une volonté, derrière les travaux, de reprise en main de l’université.

En 2011, les autorités chavistes (du nom de Hugo Chavez, figure de la gauche radicale latino-américaine et défunt prédécesseur de M. Maduro de 1999 à 2013) ont gelé les élections dans les universités publiques comme l’UCV. Il n’y pas eu d’élections depuis.

Le recteur de l’université Simon Bolivar, l’autre grande université du Venezuela, est décédé cette année et le conseil national des universités qui émane du ministère de l’Éducation universitaire, l’a remplacé sans passer par un vote.  

« Il n’y a pas une intervention manu militari avec des tirs, de morts ou des blessés, mais on assiste à une intervention au compte-gouttes », analyse M. Teran, qui évoque une prise de contrôle progressive des universités.

« L’UCV ne se rend pas », promet une lettre du rectorat pour le 300e anniversaire.