(Planadas) Le volatile se pose au sommet d’un poteau électrique. Tyrannus melancholicus ou Pyrocephalus rubinus? Longs cheveux noirs et yeux rieurs, deux gamines en contrebas se consultent un instant. Ce sera rubinus ! décident-elles, un passereau au plastron rouge vif.

En plein centre de la Colombie, au cœur des montagnes verdoyantes de Planadas, ce débat ornithologique en latin, par des enfants indigènes, étonne. Le regard tendu vers la broussaille, une trentaine de personnes, petits et grands, de toutes les communautés, participent ce jour-là sur un chemin creux à une journée d’observation des oiseaux.

L’initiative entend œuvrer en faveur de la paix, dans ce département de Tolima longtemps ravagé par la guerre entre l’armée et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) marxistes. Cinq ans après la signature d’un accord de paix, Planadas a retrouvé la tranquillité, mais les fractures du conflit demeurent.

« Les oiseaux sont une excuse pour nous rassembler et sortir nos enfants de la guerre », explique Camilo Enciso, fondateur de l’Association des producteurs écologiques de Planadas (Asopep), promotrice de l’opération.

Il y des enfants d’ex-combattants des FARC, dont les parents vivent dans un camp de « réincorporation ». Il y a des NASA, indigènes qui servirent longtemps de supplétifs à l’armée. Et des familles de paysans, eux aussi souvent victimes du conflit.

On se salue, on se parle, mais on ne se mélange pas forcément. Puis commence la promenade, nez en l’air et jumelles en main. Les oiseaux multicolores posés sur les branches captivent immédiatement, créent le dialogue et une fraternité qui réchauffe le cœur.

« Ce qui se passe ici est unique », se réjouit Diego Calderon, ornithologue professionnel venu appuyer le projet. « Être en paix avec la nature nous aide à être en paix avec nous-mêmes et les autres », plaide ce biologiste, lui-même otage des FARC en 2004.

« Avant je tuais les colibris avec ma sarbacane pour les manger. Aujourd’hui je les contemple avec mes enfants qui apprennent la richesse de nos jardins, de nos forêts », sourit Justiniano Paya, un chef NASA.

L’ex-FARC Neira, mère de deux enfants, qui confie ses « difficultés » à se réintégrer à la vie civile, a aussi pris goût à cette « expérience très gratifiante ». « Les oiseaux nous connectent, nous apprennent à protéger ce que nous avons ici ».

« La réconciliation se construit ainsi à petits pas », plaide Mayra Luz Ruiz Nedira, chef de projet à Asopep. « L’observation des oiseaux permet aux habitants de voir leur territoire autrement, tout en mettant en valeur son potentiel écologique et touristique », complète M. Enciso.

Sommelier de l’arabica

Avec cette même idée de « valoriser » la région, longtemps inaccessible du fait de la guerre, l’Asopep travaille sur une autre richesse locale : le café.

Un peu partout dans les vallées, des plantations s’accrochent à flanc de montagnes. Le climat est idéal dans cette partie de la cordillère des Andes, où alternent soleil et fortes pluies.

Alors que les cours mondiaux n’ont jamais été aussi hauts, le café contribue à une nouvelle prospérité.

Plus de 6000 familles vivent du café de Planadas, au fruité et à l’acidité caractéristiques. Sur un modèle coopératif, l’Asopep achète le précieux grain à ses 380 membres pour le revendre à une cinquantaine de clients aux États-Unis, en Europe, en Asie, en privilégiant « la qualité ».  

« L’idée est de fournir à la fois un savoir et une assistance technique au producteur, qu’il connaisse la valeur réelle de son café, dans quel pays il est vendu, à quel prix. Et qu’il en touche à la fin les vrais revenus », souligne M. Enciso.

Dans ses locaux, l’Association assure tout le processus de production : sélection, séchage, torréfaction et la très délicate dégustation qui permet de classifier les grains. Et donc d’en fixer le juste prix, pour le bon client.

L’Association a déjà formé 25 dégustateurs, dont Vanessa Castro, « chef de qualité » de 19 ans qui d’un simple coup de nez distingue fragrances, saveurs et autres degrés d’acidité…

« Nous avons compris l’importance de transformer et valoriser notre café », s’enorgueillit Camillo Enciso, fier des « huit certifications » internationales reçues.  

« Il y a un futur désormais ici. La guerre n’est plus là. Il y a du travail, des ressources, la nature… Nous avons recommencé à vivre et à produire ensemble. Nous sommes unis ».