La population du Nicaragua est appelée aux urnes ce dimanche dans le cadre d’une élection menottée par l’homme fort du pays, Daniel Ortega, qui a fait arrêter et accuser au cours des derniers mois une kyrielle d’opposants de manière à garantir sa « victoire ».

L’obtention pratiquement assurée d’un quatrième mandat présidentiel de suite par l’ancien guérillero sandiniste, qui gouverne en tandem avec sa femme, Rosario Murillo, marque une nouvelle étape dans la dérive autoritaire du régime et devrait mener rapidement à l’imposition de nouvelles sanctions internationales.

Kai Thaler, spécialiste de l’Amérique latine rattaché à l’Université de Californie à Santa Barbara, note que la vague d’arrestations survenues durant l’été en prévision du scrutin enlève toute crédibilité au scrutin.

« Daniel Ortega se retrouve en compétition avec des opposants choisis qui proviennent de partis mineurs ne représentant aucun risque pour lui ou de partis contrôlés comme des marionnettes par le régime », dit-il.

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Le président du Nicaragua, Daniel Ortega, le 27 octobre dernier

Le président a déjà manipulé par le passé des élections tout en permettant à des opposants de se manifester, mais il n’avait jamais eu recours à une approche aussi radicale jusqu’à cette année, note M. Thaler.

L’opposition réelle « n’est plus quelque chose que le régime semble disposé à tolérer », indique l’analyste.

Période de « terreur »

Un universitaire nicaraguayen qui suit de près la situation politique a noté vendredi en entrevue avec La Presse que plusieurs des personnes arrêtées avaient été surprises par l’action du régime.

L’annonce début juin de l’assignation à résidence de Cristiana Chamorro, fille de l’ex-présidente Violeta Barrios de Chamorro, a donné le ton et marqué, dit-il, le début d’une période de « terreur ».

« Ils ont enfermé tout le monde, même des candidats potentiels qui ne représentaient aucun risque pour l’élection. Le seuil requis pour devenir la cible du régime est soudainement devenu beaucoup plus bas », relève l’universitaire, qui a demandé de ne pas être identifié nommément par crainte de représailles.

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Manifestants descendus dans les rues de Monimbo pour s’opposer au gouvernement du président Daniel Ortega, en mai 2018

Ryan Berg, spécialiste du Nicaragua rattaché au Center for Strategic and International Studies (CSIS), à Washington, relève que le régime avait témoigné de sa radicalisation croissante en 2018 en réprimant dans le sang un soulèvement populaire précipité par une réforme controversée de l’aide sociale.

[Daniel Ortega et sa femme] se préoccupaient autrefois de légitimité internationale, mais ne pensent plus aujourd’hui qu’à conserver le pouvoir.

Ryan Berg, spécialiste du Nicaragua rattaché au Center for Strategic and International Studies

Cette indifférence pour les critiques extérieures se reflète notamment, selon l’analyste, par le fait que les forces de l’ordre nicaraguayennes ont arrêté les dirigeants d’une importante organisation patronale au lendemain d’une condamnation du pays par l’Organisation des États américains (OEA).

La Commission interaméricaine des droits de l’homme a décrié il y a dix jours dans un nouveau rapport l’établissement d’un État policier rendu possible par une concentration excessive du pouvoir dans les mains de Daniel Ortega.

« Il n’y a plus de contre-pouvoirs au Nicaragua, puisque toutes les institutions sont désormais soumises aux décisions de l’exécutif », note l’organisation, qui y voit l’aboutissement d’un processus entamé il y a une quinzaine d’années.

Réponse internationale

M. Berg pense que la gravité de la situation politique du pays justifie un durcissement de la réponse de la communauté internationale.

Les États-Unis, l’Union européenne et le Canada, en plus de condamner haut et fort le scrutin de ce dimanche, devraient faire front commun en appliquant des sanctions ciblées à un nombre considérablement plus important de caciques du régime et d’organisations apparentées, dit-il.

PHOTO OSWALDO RIVAS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un homme vendant des chandails à l’effigie du président Daniel Ortega, à Managua, en octobre dernier

Des actions devraient être prises par ailleurs pour freiner l’aide financière provenant d’organisations comme le Fonds monétaire international, ajoute l’analyste, qui aimerait voir un plus grand nombre de pays de la région adopter une approche plus musclée envers le Nicaragua et appuyer sa suspension éventuelle de l’OEA.

En l’absence d’un large consensus, l’action des États-Unis et de ses alliés dans le dossier risque fort d’être brandie efficacement par Managua comme une nouvelle illustration de la menace posée par « l’impérialisme yankee », souligne M. Berg.

L’universitaire nicaraguayen joint par La Presse pense que l’avenir du pays dépend d’abord et avant tout de ce que la population locale elle-même peut faire.

L’opposition sur place demeure éclatée et peine à construire un discours cohérent allant au-delà de son aversion pour le régime de Daniel Ortega, qui se pose en défenseur de la révolution sandiniste.

« Certaines des personnes qui se trouvent aujourd’hui côte à côte en prison ne se seraient même pas saluées dans la rue avant leur détention », relève l’universitaire.

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Nombre de personnalités de l’opposition arrêtées et accusées depuis mai au Nicaragua dans le cadre d’une vague de répression précédant le scrutin présidentiel

Source : The Guardian