Des allégations de fraude électorale. Des contestations judiciaires. Un pays divisé en deux camps. Une défaite qui pourrait mener à une incarcération pour corruption.

L’histoire se déroule non pas aux États-Unis, mais au Pérou, où la candidate Keiko Fujimori a demandé lundi un audit international sur le scrutin présidentiel du 6 juin dernier. L’écart entre la politicienne de droite et son opposant de gauche, Pedro Castillo, est d’environ 44 000 voix, même si l’homme n’a toujours pas été déclaré officiellement vainqueur, en raison des litiges.

« La situation est réellement terrifiante, commente Cynthia McClintock, de l’Université George Washington, à Washington. La démocratie ne tient qu’à un fil au Pérou, avec une année très trouble. »

PHOTO JOSE CARLOS ANGULO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Pedro Castillo, candidat présidentiel

La professeure de sciences politiques et d’affaires internationales en connaît long sur le Pérou. Les contestations judiciaires sont inhabituelles dans les élections, dit-elle, et le mince écart entre les deux candidats – une fraction de 1 % – explique en partie les recours.

« Je pense que Keiko Fujimori utilise une carte tirée directement du manuel de Donald Trump, en pensant qu’elle peut manipuler le système à son avantage en faisant ces accusations et en demandant maintenant l’audit », explique-t-elle.

Prison et COVID-19

Les détracteurs de Keiko Fujimori y voient une ultime tentative pour la politicienne de 46 ans d’éviter la prison grâce à une immunité présidentielle pour la durée de son mandat si elle accède au pouvoir. La fille de l’ancien dirigeant du pays Alberto Fujimori, en prison pour corruption et crimes contre l’humanité, risque jusqu’à 30 ans de prison dans une affaire de blanchiment d’argent. L’arrivée de la COVID-19 a mis fin à sa détention préventive l’an dernier.

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Keiko Fujimori, candidate présidentielle, en conférence de presse, mardi

Le virus est d’ailleurs bien présent au pays, qui occupe le premier rang mondial pour le nombre de morts recensées par million d’habitants. Malgré la situation sanitaire, les Péruviens ont voté en personne, fermant la porte à tout doute lié à une méthode inhabituelle de participation. L’équipe de Mme Fujimori conteste des milliers de bulletins sur d’autres prétentions, alléguant par exemple que des signatures de représentants ne concordent pas.

Les États-Unis ont qualifié la présidentielle de « libre » et « équitable ». Si la candidate a demandé au président par intérim Francisco Sagasti un audit international – sans réponse au moment d’écrire ces lignes –, une mission d’observation de l’Organisation des États américains (OEA) était déjà sur place et a indiqué ne pas avoir constaté de graves irrégularités dans le vote.

La diaspora québécoise attentive

Au Québec, la diaspora péruvienne suit avec attention la situation. Une quarantaine de membres de la communauté ont interpellé le gouvernement de Justin Trudeau dans une lettre, l’invitant à reconnaître la validité de l’élection.

On pense que c’est très important parce que le Canada est connu pour la défense de la démocratie dans le monde, c’est très important que le pays donne une reconnaissance pour appuyer la transition pacifique du pouvoir et reconnaisse les résultats des élections.

Rossio Motta-Ochoa, anthropologue et signataire de la lettre

La situation est d’autant plus précaire, explique Rossio Motta-Ochoa, anthropologue et signataire de la lettre, que le Pérou n’en est pas à ses premières tensions politiques ces dernières années. En novembre, trois présidents se sont succédé à la tête du pays en une semaine, en raison d’accusations de corruption et de pressions populaires. La COVID-19 a également mené à une crise sanitaire et économique.

« On tient aux institutions démocratiques du pays. Le pays a traversé une période difficile ces derniers temps, les institutions démocratiques sont fragiles », dit un autre signataire de la lettre, Eduardo Malpica, sociologue de formation.

Clivage

Dix-huit candidats se sont présentés pour la présidence du pays au premier tour. Le deuxième tour a vu deux candidats clivants s’affronter, avec Mme Fujimori, dont le nom est associé au populisme conservateur, et M. Castillo, 51 ans, novice en politique, décrit comme un disciple de la gauche radicale. Les partisans de Mme Fujimori ont d’ailleurs qualifié l’ex-enseignant et syndicaliste de communiste, ce qu’il a nié.

Le pays de 32 millions d’habitants semble s’être divisé entre les Péruviens ruraux, plus pauvres, partisans de M. Castillo, et les électeurs urbains nantis, soutenant Mme Fujimori.

« L’establishment péruvien, les gens plus prospères qui vivent à Lima, sont très nerveux à propos d’une présidence de Pedro Castillo, qui semble être le candidat qui a gagné – et selon moi, il a gagné – parce qu’il est le candidat d’un parti très à gauche », souligne Mme McClintock.

Des manifestations ont été organisées dans les deux camps pour soutenir chaque candidat.

PHOTO JANINE COSTA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des gens participent à un rassemblement s’opposant à la possibilité d’un gouvernement socialiste dirigé par Pedro Castillo, à Lima.

« C’est une victoire de justesse, rappelle M. Malpica. Il est certain que M. Castillo est dans l’obligation de bâtir des ponts pour essayer de construire un dialogue avec l’opposition, il n’y a pas d’autre façon de faire. »

L’investiture du nouveau président doit avoir lieu le 28 juillet.

Si aucun président n’est confirmé à cette date, le pays pourrait connaître une nouvelle instabilité. « Ça apporterait beaucoup de souffrances au pays, économiquement et humainement », note Mme McClintock.

Avec AFP, Le Monde, Reuters