(Bogota) L’État colombien a demandé pardon mardi devant la Cour interaméricaine des droits humains à la journaliste Jineth Bedoya, victime en 2000 d’enlèvement, viol et tortures aux mains de paramilitaires avec la complicité présumée d’agents de la force publique.

Le directeur général de l’Agence nationale de défense juridique de l’État colombien, Camilo Gomez, a accepté « la responsabilité internationale pour les failles du système judiciaire » et « pour le non-respect du devoir de diligence dans les enquêtes sur les menaces » dénoncées par la journaliste, prix mondial de la liberté de la presse de l’UNESCO 2020.

Lors de cette audience virtuelle devant la cour, entité judiciaire de l’Organisation des États américains (OEA) qui siège à San José au Costa Rica, l’État a demandé « pardon à Jineth Bedoya pour ces faits et pour les dommages qu’ils lui ont causés ».

Il a également admis que « ces omissions ont porté atteinte à ses droits à la dignité, à un projet de vie, à l’intégration personnelle, aux garanties et à la protection judiciaires », selon l’avocat Camilo Gomez.

Jineth Bedoya, aujourd’hui âgée de 47 ans, travaillait alors pour le journal El Espectador quand un groupe de paramilitaires l’avaient enlevée devant la prison La Modelo à Bogota, puis torturée et violée pendant seize heures, avant de l’abandonner nue au bord d’une route.

Elle enquêtait alors sur un réseau de trafic d’armes dans cet établissement pénitentiaire lorsqu’elle avait été séquestrée avec la complicité d’agents de l’État, notamment d’un « influent » général de la police, selon son témoignage.

Les paramilitaires, dont certains ont été depuis condamnés, faisaient partie de milices d’extrême droite qui ont combattu les guérillas de gauche en Colombie, jusqu’à leur démobilisation officielle en 2006.

Mardi, la journaliste a estimé que l’État ne proposait qu’une demande de « pardon partiel » et « une gifle de plus », après le retrait de son représentant qui la semaine dernière avait accusé la cour de partialité, et demandé en vain la récusation des juges.

« Un pardon total implique de reconnaître qu’il y a une absence de toute investigation, mais surtout d’appui à une femme qui a subi la pire des violences […] la violence sexuelle », a déclaré Jineth Bedoya lors d’une conférence de presse après l’audience du jour.

En 1999, avant son enlèvement, Jineth Bedoya et sa mère Luz Nelly Lima avaient en outre été la cible d’un attentat, à propos duquel l’État a aussi présenté des excuses « pour le manque d’investigation de l’attaque ».

« Le dommage causé à ma mère et moi pour les violations subies depuis plus de vingt ans et l’impunité […] ne nous ont pas permis de clore le cycle de violence et de récupérer nos vies », a dénoncé la journaliste, qui a demandé des mesures de protection, ainsi que la fermeture de la prison et sa transformation en espace de mémoire.

La défense de l’État a pour sa part assuré qu’il n’y a pas de preuves « suffisantes pour démontrer la participation d’agents de la force publique » et qu’il est impossible de fermer l’établissement.

Aucun délai n’est imposé à la Cour pour rendre ses décisions qui sont sans appel.

Le cas de Jineth Bedoya est emblématique de la violence sexuelle dérivée du conflit armé qui mine la Colombie depuis près de 60 ans et a fait plus de neuf millions de victimes (morts, disparus et déplacés).