(Los Teques) Prêt à tirer, arme au poing, gilet pare-balles, le policier progresse dans le dédale du quartier populaire de El Nacional, bidonville urbanisé sur les flancs de colline de Los Teques, ville dortoir à une trentaine de kilomètres de Caracas.

Objectif : « Rompre la chaîne de contagion de la COVID-19 » tout en luttant contre la criminalité avec une présence policière accrue, explique Carlos Andrade, directeur de la sécurité de Guaicaipuro dont Los Teques fait partie.

Le Venezuela, 30 millions d’habitants, a enregistré jusqu’ici environ 150 000 cas et 1500 morts.

Mais les autorités s’inquiètent de l’augmentation récente du nombre de nouveaux cas et notamment l’apparition de la souche brésilienne du virus. Le président Nicolas Maduro a annoncé dimanche soir un nouveau confinement après un relâchement des mesures ces derniers mois.  

Pour lutter contre cette deuxième vague, Carlos Andrade et ses hommes intensifient les sorties, passant d’une mission par mois à une par semaine et ainsi faire mieux respecter les mesures anti-COVID-19 gouvernementales : interdiction de circuler après 18 h, fermeture des commerces essentiels à 16 h, port du masque, pas de réunion supérieure à cinq personnes…

En ce vendredi soir, ils investissent ces zones populaires surpeuplés, dans un pays où le taux de criminalité est parmi les plus forts au monde.

« Pas de fête »

À la tête d’une armada d’une vingtaine de motos transportant des policiers dont certains armés de fusils mitrailleurs, Carlos Andrade pénètre dans le quartier vers 18 h. Premier arrêt au pied de la colline à une station de moto-taxis qui sillonnent habituellement le quartier.  

« Il est 18 h ! Vous devez partir », ordonne-t-il aux pilotes présents.  

À une centaine de mètres, des adolescents se promènent sans masques. Entourés d’une cinquantaine de policiers armés et masqués, les adolescents sont obligés de répéter plusieurs fois : « Je dois porter un masque ».

Plus loin, les policiers sont devant une boutique : « Fermez immédiatement s’il vous plaît ! Il est 18 h. Il faut respecter l’horaire », lance Carlos Andrade. Le patron ne cache pas son mécontentement et ferme à contre-cœur.

Puis, les policiers descendent des motos pour s’enfoncer dans les ruelles entre les maisons en briques, escaliers étroits, passages, qui font de ces quartiers de véritables labyrinthes, souvent dangereux.

Une gamine saute d’effroi en croisant un policier au détour d’un recoin. La nuit commence à tomber, Marco Rodriguez, policier, contrôle deux jeunes : « Mains en l’air ! Contre le mur ! » Les jeunes ont l’habitude des contrôles et obéissent calmement.

Après une fouille rapide, le policier leur lance : « Répétez “je dois porter le masque” ! ». Les jeunes articulent peu distinctement.

« Plus fort ! J’entends pas ! ». Les jeunes répètent en haussant la voix. « Une fois, deux fois, trois fois… », le policier compte jusqu’à dix avant de mettre fin à la punition.  

Les agents intiment aux gens croisés dans la rue de rentrer chez eux, tambourinent sur des portes où l’on entend de la musique et vérifient qu’il n’y a pas d’attroupements. « Pas de fête ! »

Opération séduction

19 h 15, les hommes remontent à moto. Direction Guaremal, le plus grand quartier populaire de la région, où les « bars n’ouvraient pas et où le transport public n’entrait pas avant », explique Carlos Andrade, assurant avoir « éradiqué la délinquance » et qu’il n’y a « plus de gangs organisés » comme dans beaucoup de grands bidonvilles vénézuéliens.  

Il s’agit aussi d’une opération séduction. Carlos Andrade raccompagne un enfant seul dans la rue chez ses parents, puis joue les diplomates en découvrant une quarantaine de personnes dans un local pour une messe évangélique.

« Je respecte ça mais portez le masque. Pour votre santé à vous et celle des autres. Mademoiselle, vous n’avez pas de masque ? Sortez s’il vous plaît ! Nous sommes là pour la sécurité de la communauté ».  

Quelque peu gêné, le pasteur au micro remercie le policier avec un « Dieu vous bénisse ». « Amen » répond celui-ci en partant.

21 h, les motos longent un long mur sur lequel est inscrit « Chavez, je le jure mon vote est pour Maduro » avant de plonger dans les rues pentues de Brisas de Oriente, autre quartier populaire.

« Dans les quartiers, on ne respecte pas toujours ce que demande le gouvernement », reconnaît avec euphémisme le policier Pedro Serpa, qui assure qu’ils reviendront si les boutiques rouvrent.

22 h, l’opération est terminée. Deux chauffeurs de taxi désœuvrés observent les policiers la mine déconfite.

« Pour la sécurité c’est bien, mais la situation est mauvaise. Tout est fermé, j’ai gagné 5 dollars cette semaine contre 40 habituellement », affirme Michel Delgado, taxi de nuit, 48 ans. « On n’a pas le droit de travailler le jour. On a des familles. J’ai trois enfants ».