(Brasilia) L’ex-président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva peut désormais affronter Jair Bolsonaro à la présidentielle de 2022, après qu’un juge de la Cour suprême a annulé lundi toutes ses condamnations pour corruption et l’a rétabli dans ses droits politiques.

Cette décision a fait l’effet d’une bombe, propulsant de nouveau l’icône de la gauche brésilienne dans l’arène politique, dans un Brésil plus polarisé que jamais après deux ans de mandat du président d’extrême droite Jair Bolsonaro.

Le juge Edson Fachin a estimé que le tribunal de Curitiba (Sud) qui avait condamné Lula dans quatre procès n’était « pas compétent » pour juger ces affaires.

Celles-ci seront à présent jugées par un tribunal fédéral de Brasilia. En attendant, l’ex-président (2003-2010) recouvre ses droits politiques et peut briguer un troisième mandat.

Le procureur général brésilien dispose toutefois d’un droit de recours devant la Cour suprême réunie en séance plénière.

« Lula innocent », a réagi sobrement sur Twitter le Parti des Travailleurs (PT), formation de gauche cofondée en 1980 par Lula, qui pour sa part restait silencieux.

Lula, 75 ans, avait déjà purgé un an et demi de prison pour corruption, d’avril 2018 à novembre 2019, avant d’être libéré sur décision collégiale de la Cour suprême.

Au moment où il avait été incarcéré, l’ancien chef de l’État était donné favori des sondages pour la présidentielle d’octobre 2018.

Deux ans et demi plus tard, dans un sondage récent, Lula apparaît comme le seul capable de battre Jair Bolsonaro au prochain scrutin, en 2022 : 50 % des personnes interrogées se disaient prêtes à voter pour lui, contre 44 % pour le président sortant.

Impartialité mise en cause

La Bourse de Sao Paulo a chuté de plus de 4 % peu après l’annonce de la décision du juge qui fait grincer des dents dans les milieux d’affaires.

Le juge Fachin a « toujours eu un lien fort avec le PT », a dénoncé le président brésilien sur CNN Brasil. « Nous avons tous été surpris par (par cette décision), mais en fin de compte, le brigandage de ce gouvernement (de gauche) est bien clair pour toute la société », a-t-il ajouté.

Plusieurs alliés de M. Bolsonaro ont critiqué l’annulation des condamnations de Lula, jugée « révoltante » par le député de droite Bibo Nunes, du Parti Social Libéral (PSL).

« Lula candidat ! Le Brésil a succombé, on va devoir supporter l’euphorie des antifas et des communistes », a écrit pour sa part sur Twitter Coronel Tadeu, un autre parlementaire de la même formation.

La décision de la Cour suprême a en revanche été saluée par le président argentin péroniste de gauche Alberto Fernandez. « Justice a été rendue » ! «, s’est-il exclamé sur Twitter.

Mais les dirigeants du PT ont préféré rester prudents, craignant de nouveaux rebondissements dans le feuilleton judiciaire autour de Lula qui tient les Brésiliens en haleine depuis des années.

 » Nous attendons l’analyse juridique de la décision du juge Fachin, qui a reconnu avec cinq ans de retard que Sergio Moro n’aurait jamais dû juger Lula «, a déclaré sur Twitter Gleisi Hofman, présidente du parti.

Elle fait allusion au juge Moro, figure de proue de la lutte anticorruption au Brésil, dont la condamnation en première instance de Lula en juillet 2017 a été le principal fait d’armes.

Il était devenu par la suite ministre de la Justice de Jair Bolsonaro, avant de démissionner avec fracas en avril 2020.

Les condamnations de Lula à Curitiba, dans le cadre de l’opération anticorruption » Lavage express « avaient déjà été discréditées ces derniers mois, l’impartialité des juges et des procureurs ayant été mise en doute par des échanges de messages dévoilés par le site The Intercept Brasil.

Lula avait notamment été accusé de recevoir des pots-de-vin pour favoriser des entreprises du bâtiment dans l’octroi de marchés publics, notamment liés à la compagnie pétrolière d’État Petrobras.

Les grandes dates de l’ex-président Lula

-27 octobre 1945 : naissance dans une famille d’agriculteurs pauvres du nord-est du Brésil. Pour fuir la faim, sa famille s’installe, quand il a sept ans, dans l’État de Sao Paulo.

-1975 : devient président du syndicat des métallurgistes, un secteur d’activité où il est ouvrier depuis ses 14 ans.

-1978-80 : conduit les grandes grèves dans les banlieues industrielles, en pleine dictature. Il est emprisonné 31 jours.

-1980 : cofonde le Parti des travailleurs (PT, gauche). Il participe en 1983 à la création de la Centrale unique des travailleurs (CUT).

-2003 : devient le premier président brésilien issu de la classe ouvrière. Réélu en 2006 pour quatre ans. Grâce à ses programmes sociaux, près de 30 millions de Brésiliens sortent de la misère, même si les inégalités restent très fortes.

-2005 : décapite la direction du PT après des scandales de corruption.

- Mars 2016 : le juge anticorruption Sergio Moro ordonne qu’on aille le chercher à son domicile pour un interrogatoire, une humiliation pour Lula, ensuite empêché de devenir ministre de sa dauphine, Dilma Rousseff, finalement destituée en août.

-12 juillet 2017 : le juge Moro condamne Lula à neuf ans et six mois de prison pour corruption et blanchiment d’argent. Il est accusé d’avoir reçu un appartement en bord de mer en échange de contrats pour une entreprise du bâtiment.

-24 janvier 2018 : la Cour d’appel TRF4 rejette le recours de Lula et alourdit sa peine à 12 ans et un mois de prison.

-4 avril 2018 : la Cour suprême rejette un ultime recours déposé par les avocats de Lula pour tenter d’empêcher son incarcération. Le mandat de dépôt est émis par la justice dès le lendemain.

-7 avril 2018 : retranché pendant plus de deux jours dans les locaux du syndicat des métallurgistes de Sao Bernardo do Campo, près de Sao Paulo, entouré d’une foule de sympathisants, il finit par se rendre aux autorités et est incarcéré à Curitiba (sud), dans les locaux de la Police fédérale.

-15 août 2018 : la candidature de Lula à la présidentielle est officiellement présentée par le PT. Il est le grand favori des sondages.

- 1er septembre 2018 : le Tribunal supérieur électoral (TSE) invalide la candidature de Lula à un troisième mandat. Sa défense présente en vain plusieurs recours.

-11 septembre 2018 : Lula renonce à briguer un troisième mandat et le PT désigne son colistier Fernando Haddad, un ancien maire de Sao Paulo, pour le remplacer en tant que candidat de ce parti. Il assiste impuissant, de sa prison, à la victoire du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro.

-6 février 2019 : l’ex-président est une nouvelle fois condamné, à 12 ans et 11 mois de réclusion pour corruption et blanchiment. Il est accusé, dans le cadre d’une autre affaire, d’avoir bénéficié de travaux dans une propriété en échange de contrats attribués à une entreprise de bâtiment.

-2 mars 2019 : Lula sort de prison pour assister aux obsèques de son petit-fils de sept ans, mort brutalement.

-23 avril 2019 : les juges du Tribunal supérieur de justice du Brésil (STJ) votent en faveur d’une nette réduction de sa peine de prison pour corruption, à huit ans et 10 mois de réclusion.

-7 novembre 2019 : les juges de la Cour suprême décident par une courte majorité (six contre cinq) de mettre fin à la jurisprudence selon laquelle une personne peut être incarcérée dès sa première condamnation en appel même si d’autres recours sont encore possibles. Lula étant dans ce cas de figure, ses avocats réclament sa « libération immédiate ».

-8 novembre 2019 : Lula sort de prison, acclamé par des milliers de ses partisans, et promet de « continuer à lutter » pour le peuple brésilien. Mais il se fera discret.

-8 mars 2021 : un juge de la Cour suprême ordonne l’annulation de l’ensemble de ses condamnations pour corruption, le rendant éligible pour affronter Jair Bolsonaro à la présidentielle de 2022.

La première condamnation, de 10 ans et 8 mois de réclusion, portait sur un appartement triplex en bord de mer que Lula aurait reçu de la part d’une de ces sociétés de BTP.

La deuxième portait sur des travaux de rénovation financés par deux groupes du bâtiment dans une propriété rurale à Atibaia, dans l’État de Sao Paulo (Sud-Est).

Ces deux condamnations avaient été confirmées en appel. Il avait aussi été condamné en première instance dans deux affaires pour des irrégularités présumées sur des dons versés par des entreprises à l’Institut Lula.