(Santiago-du-Chili) Le pays sud-américain compte devenir l’un des leaders mondiaux de la production d’hydrogène vert. Mais pour y arriver, de nombreux obstacles devront être surmontés.

La rumeur agitait les milieux d’affaires chiliens depuis plusieurs jours. C’est finalement dans l’extrême sud du pays, dans la région de Magallanes, que le tout premier projet pilote d’hydrogène vert prendra racine dans le pays. Un parc éolien de 300 mégawatts s’élèvera dans le ciel de Patagonie pour produire de l’électricité. L’énergie générée servira à son tour à produire de l’hydrogène vert grâce au procédé de l’électrolyse de l’eau.

Ce projet, financé par des capitaux privés, constitue la première pierre d’un projet titanesque pour ce pays de 18 millions d’habitants : devenir l’un des leaders mondiaux dans la production et l’exportation d’hydrogène vert. « Contrairement à l’hydrogène “gris”, extrait principalement d’énergies fossiles, son pendant “vert”, issu des énergies renouvelables, présente l’avantage de ne pas émettre de CO2, explique Alejandro Karelovic, chercheur à l’Université de Concepción, au Chili. « Les États souhaitent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre en “décarbonant” leur système énergétique et leur économie. Dans ce contexte, tous les regards se tournent vers notre pays. »

Le Chili peut-il devenir le nouvel Eldorado énergétique ? Les vents soutenus et continus, au sud, et le niveau de radiation solaire – l’un des plus élevés au monde – dans le désert d’Atacama, au nord, offrent de solides arguments. Le déploiement à marche forcée des énergies renouvelables rend crédible cette intention hégémonique. Fixé initialement à 2050, l’objectif des 70 % d’énergies renouvelables dans son bouquet énergétique pourrait être atteint dès 2030. « Le potentiel d’énergies renouvelables est ici de 50 à 70 fois la capacité électrique installée actuellement », estime Erwin Plett, membre de H2 Chili, l’association réunissant les professionnels de l’hydrogène.

Nous souhaitons être une puissance exportatrice d’hydrogène vert, mais aussi d’autres produits issus de sa production, comme l’ammoniac pour fertilisants et le méthanol comme carburant de synthèse. Avec notre système de production qui sera potentiellement le moins cher au monde, nous avons l’objectif ambitieux d’exporter à hauteur de 30 milliards de dollars à l’horizon 2050.

Juan Carlos Jobet, ministre chilien de l’Énergie

Soit autant que les revenus générés par la vente de cuivre, dont le Chili est le premier producteur au monde.

Jusqu’au Québec ?

Le marché chilien de l’hydrogène vert attise les convoitises : Japon, Corée du Sud, Singapour, Australie, Royaume-Uni, Union européenne… Nombreux sont les acteurs publics et privés à se presser sur la ligne de départ. « Nous avons scellé plusieurs accords de coopération, à l’image de celui signé avec le Canada comprenant des investissements dans le secteur des énergies renouvelables et les transports électriques, reprend Juan Carlos Jobet. En décembre 2019, lors de la COP25 à Madrid, j’ai signé, avec le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, une déclaration commune pour collaborer sur le marché du carbone et la transition énergétique. »

Avant de concrétiser ses ambitions à l’échelle mondiale, le Chili entend bien prendre le leadership en Amérique latine.

Les autorités chiliennes sont à pied d’œuvre pour faire émerger une filière de ce précieux gaz sur son territoire. L’Agence nationale de développement finance actuellement trois initiatives en ce sens. Toutes concernent l’industrie minière, un secteur très gourmand en énergie.

Écoblanchiment ?

Plutôt en retrait sur le sujet, les ONG de défense de l’environnement craignent néanmoins une tentative d’écoblanchiment du secteur minier et dénoncent le choix fait par le gouvernement du président Piñera (droite) de poursuivre une politique « extractiviste ». D’autres voix s’inquiètent de la consommation en eau requise par le procédé d’électrolyse dans un pays actuellement frappé par une sécheresse longue de 11 ans.

Des accusations battues en brèche par Marcelo Mena, ministre de l’Environnement durant le mandat de Michelle Bachelet (gauche) et aujourd’hui membre du Comité de conseil sur l’hydrogène vert. « La consommation en eau est négligeable », assure celui qui est aussi le directeur du Centre d’action climatique de l’Université catholique de Valparaíso.

Pragmatique, Marcelo Mena défend l’option choisie par l’exécutif de considérer l’industrie minière comme le premier étage de la fusée chilienne de l’hydrogène vert.

Si nous voulons respecter nos engagements de l’accord de Paris sur le climat, les deux industries devront cohabiter ; l’une financera l’autre, à l’image du fonds souverain norvégien alimenté par les exportations de pétrole et de gaz naturel.

Marcelo Mena

Reste aux autorités à mettre en œuvre des mécanismes de soutien. « Si nous voulons accélérer notre sortie du charbon, améliorer la qualité de notre air, créer des emplois bien répartis sur le territoire et électrifier notre système de transports, nous devons revoir au plus vite notre système de taxation du carbone, pas assez incitatif aujourd’hui », relève l’ex-ministre de l’Environnement. Un préalable indispensable avant une éventuelle ruée vers ce nouvel or vert.