Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, qui avait cherché dans un premier temps à minimiser le risque posé par la pandémie de COVID-19, ouvre la porte au déconfinement alors que la gravité de la crise dans le pays latino-américain continue de faire débat.

Le chef d’État a indiqué la semaine dernière qu’il présenterait dans les prochains jours à la population un plan pour relancer l’économie après s’être félicité que les restrictions mises en place aient permis « d’aplatir la courbe » des cas et des décès dans le pays.

Il a dû cependant apporter un bémol à son enthousiasme en fin de semaine en reconnaissant que le pic ne serait pas atteint avant le 20 mai, presque deux semaines plus tard que la date initialement évoquée par le gouvernement.

Le bilan officiel de 35 000 cas d’infection et de 3500 morts, pour une population de 130 millions d’habitants, est jugé peu crédible par nombre d’analystes et est contesté même par des élus proches du président.

Le New York Times a notamment révélé la semaine dernière que la ville de Mexico, dirigée par une alliée du président mexicain, considère que le nombre de décès liés à la pandémie de COVID-19 sur son territoire est trois fois supérieur à celui qui est officiellement reconnu par le gouvernement.

Pas assez de tests ?

Le quotidien a rapporté que des personnes malades cherchant à être soignées étaient régulièrement refoulées par des hôpitaux de la capitale au maximum de leur capacité.

Le gouvernement a déjà admis que nombre de victimes de la pandémie n’étaient pas officiellement reconnues comme telles, faute d’avoir été testées à temps avant de mourir, alimentant les interrogations sur la gravité de la situation.

Le faible nombre de tests pratiqué par le pays suscite la controverse et pousse nombre de Mexicains à se demander si le gouvernement « ne cherche pas volontairement » à maquiller la réalité, relève Vanda Felbab-Brown, analyste rattachée à la Brookings Institution, à Washington.

Catalina Torres, doctorante en sciences de la santé qui étudie les pratiques des pays de la région dans ce domaine, note que le Mexique teste, proportionnellement à sa population, trois fois moins que la Colombie et 14 fois moins que le Chili.

« Si tu ne testes jamais, tu ne trouves jamais », relève la chercheuse, qui est rattachée à l’Université du Danemark du Sud.

« Dangereux exemple »

Mme Felbab-Brown souligne que les soupçons envers l’État ont été alimentés notamment par l’attitude du président Obrador.

Le chef d’État, souvent présenté comme un populiste de gauche, a utilisé « le même manuel d’instructions » que des populistes de droite comme Jair Bolsonaro, au Brésil, en niant d’abord le niveau de risque posé par le nouveau coronavirus, relève l’analyste.

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Andres Manuel Lopez Obrador, président du Mexique

Human Rights Watch a notamment dénoncé son comportement à la fin du mois de mars en relevant qu’il offrait un « dangereux exemple » aux Mexicains en continuant de participer à des rassemblements politiques, de serrer des mains et de donner l’accolade à des partisans alors que les autorités sanitaires pressaient les gens de rester chez eux.

Ce sont des élus locaux, notamment dans la capitale, qui ont mis en place les premiers des mesures de distanciation physique sévères avant que le gouvernement fédéral ne durcisse ses exigences, relève Mme Felbab-Brown.

Pressions américaines

Jorge Pantaleon, chercheur rattaché au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, estime que le président mexicain reconnaît les risques posés par le virus, mais voulait « éviter de susciter la panique » en suggérant d’emblée qu’il faudrait tout fermer.

Dans une économie où près de la moitié de la population vit dans la pauvreté et gagne au jour le jour ce qu’il lui faut pour manger, l’idée d’un confinement total était difficilement applicable, relève le chercheur.

Quel que soit l’impact du taux de dépistage sur les chiffres officiels, il apparaît clairement que le Mexique est bien moins touché par le coronavirus sur le plan sanitaire que son voisin américain, relève M. Pantaleon.

L’administration du président Donald Trump, dit-il, fait fortement pression aujourd’hui sur le gouvernement mexicain pour relancer des secteurs d’activité essentiels, comme l’industrie automobile, qui lient les économies des deux pays.

Le président Obrador, qui s’est fait élire en promettant de lutter contre les inégalités sociales, est sensible à ces demandes alors que l’économie mexicaine est mise à mal par l’interruption de la production industrielle, la chute du prix du pétrole et l’effondrement du tourisme.

Sa volonté de rouvrir l’économie apparaît prévisible, mais se heurte encore une fois à la résistance d’élus locaux passablement inquiets de l’évolution de la pandémie, souligne Mme Felbab-Brown.

« Il faut être extrêmement optimiste pour penser que la situation est sous contrôle », relève l’analyste.