Le président du Brésil tourne en dérision les craintes liées à la COVID-19

La lutte contre la COVID-19 s’annonce difficile au Brésil et le président, Jair Bolsonaro, semble déterminé à la rendre encore plus complexe.

Le dirigeant controversé ne manque pas une occasion de minimiser les risques posés par le nouveau coronavirus, prenant le contrepied de scientifiques, de son ministre de la Santé et de nombreux gouverneurs convaincus de la nécessité de mesures draconiennes de distanciation sociale.

PHOTO ADRIANO MACHADO, REUTERS

La lutte contre la COVID-19 s’annonce difficile au Brésil et le président, Jair Bolsonaro, semble déterminé à la rendre encore plus complexe.

Toutes les conditions sont réunies pour que le nombre de cas et de décès parmi les 210 millions d’habitants du géant sud-américain commence à « monter en flèche », affirme James Green, spécialiste du Brésil rattaché à l’Université Brown, dans le Rhode Island.

À la fin de la semaine, le pays rapportait plus de 16 000 cas et 800 morts, un total largement sous-évalué en raison du faible taux de dépistage.

« Ça va être une véritable catastrophe pour le pays », relève M. Green. 

L’économie va être considérablement affaiblie du même coup, ce que redoute plus que tout le président, et la dépression planétaire qui s’en vient va aggraver la situation parce que le Brésil est très dépendant de ses exportations.

James Green, de l’Université Brown

Le chef d’État a étalé à plusieurs reprises ses inquiétudes économiques au grand jour en affirmant que le confinement demandé par la quasi-totalité des gouverneurs des 26 États du pays allait faire plus de morts que le virus lui-même.

Il adopte, dans la plupart de ses interventions, une posture moqueuse visant à ridiculiser les personnes craignant la COVID-19, qu’il assimile à une « petite grippe » montée en épingle par les médias, discours rappelant les premières interventions du président américain Donald Trump sur le sujet.

« Il tente d’imiter Trump, mais il l’imite mal », dit M. Green, qui soupçonne le dirigeant brésilien de ne « pas comprendre » pleinement les enjeux sanitaires soulevés par le coronavirus.

Des consignes critiquées

Dans une allocution télévisée le 24 mars, Jair Bolsonaro a déclaré qu’il n’avait personnellement rien à craindre du virus « en raison de [s]on passé d’athlète » et qu’il « ne sentirai[t] rien » en cas d’infection.

Il a accusé à cette occasion les gouverneurs d’exagérer l’importance des cas de contamination pour justifier le confinement, allant jusqu’à assimiler par la suite l’interdiction de fréquenter les plages de Rio de Janeiro à une forme de « dictature ».

Les plages sont à l’extérieur. Il n’y a aucun problème à ce que les gens y aillent.

Jair Bolsonaro, président du Brésil

Il a aussi tenté de légiférer par décret pour contrer certaines mesures des gouverneurs en autorisant par exemple le maintien de rassemblements religieux ou encore en empêchant le blocage de la circulation automobile entre certains États.

Ces décrets, note M. Green, ont cependant une portée limitée puisque les gouverneurs, dans l’organisation constitutionnelle brésilienne, disposent de larges pouvoirs face au gouvernement central.

La Cour suprême est intervenue à quelques reprises depuis le début de la crise en faveur d’élus déterminés qui n’hésitent pas aujourd’hui à décrier ouvertement la position du président, même lorsqu’ils sont d’anciens alliés.

C’est le cas notamment du gouverneur de São Paulo, João Doria, qui avait soutenu Jair Bolsonaro lors de l’élection de 2018.

« N’écoutez pas les consignes du président », a-t-il déclaré en écho à ce que certains analystes assimilent à une campagne de « désobéissance sociale » à grande échelle.

Président affaibli

M. Green souligne que certains gouverneurs de droite flairent une occasion politique dans la crise et tentent de se conformer aux recommandations des autorités sanitaires pour éviter le pire et se positionner comme candidats de substitution à Jair Bolsonaro en vue de l’élection de 2022.

Le président, très affaibli dans les sondages, a semblé vouloir esquisser un mouvement de recul fin mars en disant que la lutte contre la COVID-19 était « le plus grand défi de notre génération ». Il est cependant reparti rapidement à l’offensive.

Les rumeurs allaient bon train lundi relativement à son intention de congédier le ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta, qui défend le confinement généralisé, mais le scénario ne s’est finalement pas concrétisé.

M. Green pense que l’armée, très influente au sein du gouvernement, est intervenue pour freiner le président. « L’armée comprend que c’est de la folie de suivre la voie qu’il propose », souligne l’analyste, qui prédit des jours sombres pour le pays.

« En raison du message confus que le président relaie, beaucoup de Brésiliens ne prennent pas la mesure de la gravité de la situation et vont être tentés de vivre comme à l’ordinaire. Beaucoup de gens sont trop pauvres et n’ont pas de ressources leur permettant de rester chez eux. L’absence de filet social exacerbe le problème », ajoute le professeur.