(Brasilia) Gestion chaotique du gouvernement et « sabotage » du président Jair Bolsonaro, le Brésil a pris du retard dans le lancement d’un plan de vaccination de ses 212 millions d’habitants contre le coronavirus, malgré un savoir-faire mondialement reconnu.

Critiqué de toutes parts, le plan national d’immunisation prévoit la vaccination sous 16 mois de plus de 70 % de la population de ce pays aux dimensions continentales, où plus de 184 000 vies ont déjà été perdues à cause du virus.

Plus de 20 milliards de réais (5 milliards de dollars canadiens) ont été débloqués pour l’achat de vaccins.

Mais les experts consultés par l’AFP estiment que ce plan a été élaboré trop tard, sans dates précises de début de campagne de vaccination, et sans stratégie claire pour l’achat et la distribution des doses.

Sabotage continuel par Bolsonaro

Et dès que le gouvernement semble faire un pas en avant, le président Jair Bolsonaro torpille les avancées en martelant qu’il ne se fera pas vacciner et qu’il ne veut pas que la vaccination soit obligatoire.

Jeudi, il est allé encore plus loin, déclarant d’un ton provocateur que les personnes vaccinées pourraient se transformer en « femme à barbe » ou en « crocodile » en raison des effets secondaires.

Et ses diatribes commencent à trouver un certain écho dans la population : le pourcentage de Brésiliens disposés à se faire vacciner a baissé de 89 % en août à 73 % en décembre, selon un sondage de l’institut Datafolha.  

Vendredi, un éditorial du très respecté quotidien Folha de Sao Paulo dénonçait le « sabotage » de Bolsonaro contre la vaccination, « qui nuit aussi à la reprise économique ».

Un comble pour un chef d’État qui n’a cessé de remettre en cause la fermeture des commerces non essentiels au nom de la préservation de l’emploi de la première économie d’Amérique latine.

« Rater le premier wagon »

Le gouvernement prévoit d’acheter 360 millions de doses, dont 210 millions du vaccin développé par l’Université d’Oxford avec le laboratoire AstraZeneca, qui seront pour la plupart fabriquées localement, par l’institut public de référence Fiocruz.  

Brasilia doit aussi acheter 70 millions de doses du vaccin du laboratoire américain Pfizer.

Mais aucun de ces vaccins n’a encore fait l’objet d’une demande de certification à l’agence régulatrice Anvisa, étape indispensable pour débuter l’immunisation de la population.

Bolsonaro a perdu beaucoup de temps à cause de son déni, des guéguerres politiques avec les gouverneurs et de sa campagne contre un vaccin obligatoire.

José David Urbaez, de la Société brésilienne d’Infectiologie.

Pour Luiz Gustavo de Almeida, microbiologiste de l’Université de Sao Paulo, le Brésil a « raté le premier wagon » de livraisons des premiers vaccins homologués aux États-Unis, ceux des laboratoires Pfizer/BioNTech et Moderna.

« Il va falloir attendre le deuxième wagon, peut-être que le gouvernement ne pourra les acquérir qu’en mars, avril ou mai 2021. Et ceux qui ne font pas partie des groupes prioritaires ne seront probablement vaccinés qu’en 2022 », poursuit-il.  

Cacophonie

La vaccination des Brésiliens est également l’otage de la rivalité politique entre Jair Bolsonaro et le gouverneur de l’État de Sao Paulo, Joao Doria, pressenti comme un de ses principaux adversaires pour la présidentielle de 2022.

Contrairement au ministère de la Santé, Joao Doria a fixé une date précise pour le début de la campagne d’immunisation dans son État, le 25 janvier, symboliquement le jour de l’anniversaire de Sao Paulo, la capitale économique du pays, mais aussi son premier foyer de contamination.

Son plan prévoit que ses 46 millions d’administrés seront vaccinés avec le CoronaVac, du laboratoire chinois Sinovac, fabriqué localement par l’Institut Butantan, sous tutelle du gouvernement de Sao Paulo.

Jair Bolsonaro n’a cessé de discréditer le « vaccin chinois de Doria », même si son gouvernement devrait finalement en acheter plusieurs millions de doses.

David Urbaez critique l’absence d’une « réponse ferme et unifiée ».

« Décentraliser les questions de vaccination pourrait avoir des conséquences terribles. Le Brésil a toujours géré les maladies infectieuses de façon centralisée et coordonnée, avec un grand succès », rappelle-t-il.  

« Le plan national fonctionnera seulement quand le gouvernement fédéral et les États seront sur la même longueur d’onde. À chaque pas en arrière, on perd plusieurs semaines d’immunisation », déplore pour sa part Luiz Gustavo de Almeida.