À Boa Vista, ville brésilienne à la frontière du Venezuela, 80 % des femmes qui accouchent sont des réfugiées vénézuéliennes. Au Pérou, à peine 30 % des enfants réfugiés du Venezuela ont accès à l’école, tandis que moins de 10 % ont droit à l’assurance médicale. Et en Colombie, on compte 200 000 enfants vénézuéliens sans papiers. 

Plus de 4,5 millions de Vénézuéliens ont fui leur pays depuis trois ans pour s’établir en majorité dans des pays voisins, particulièrement la Colombie, l’Équateur et le Pérou. Deux millions de réfugiés de plus pourraient prendre la route de l’exil d’ici la fin de 2020, prévoient les agences internationales.

Ce vaste exode crée une crise humanitaire d’une magnitude comparable à celle de la vague de réfugiés syriens en 2015, affirme Renata Dubini, directrice pour les Amériques du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Mais cette crise, déplore-t-elle, reste largement invisible.

Résultat : les pays latino-américains qui accueillent la vaste majorité de ces réfugiés absorbent un coût énorme, mais reçoivent très peu d’aide internationale pour faire face à la situation.

Selon les statistiques compilées par différentes agences de l’ONU, les principaux pays qui ont accueilli les 6 millions de réfugiés syriens se sont partagé, l’an dernier, 5 milliards de dollars d’aide internationale. Les pays sud-américains qui ont reçu les 4,5 millions de réfugiés vénézuéliens n’ont eu droit, cette année, qu’à 500 millions de dollars !

Conséquence de cet écart substantiel : les ressources publiques des principaux pays qui accueillent des exilés vénézuéliens sont étirées à l’extrême, ce qui alimente la xénophobie et les tensions sociales, note la directrice du bureau régional du HCR, qui était de passage à Ottawa vendredi.

Promesses insuffisantes 

Réunis lors d’une « conférence de solidarité » à Bruxelles, en début de semaine, des pays donateurs et des organisations humanitaires ont promis de verser 170 millions CAN pour répondre aux besoins des réfugiés vénézuéliens. Ça reste très en deçà des besoins des pays concernés. L’Équateur et le Pérou ont estimé leurs besoins à 700 millions CAN, uniquement pour la santé et l’éducation, tandis que la Banque mondiale juge qu’à elle seule, la Colombie aurait besoin de 2,5 milliards, a précisé Renata Dubini.

L’urgence, c’est maintenant. C’est choquant de voir le peu d’aide donnée aux pays qui continuent à accueillir généreusement les réfugiés vénézuéliens.

Renata Dubini, directrice pour les Amériques du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)

En date du 1er novembre, l’appel de fonds lancé par le HCR pour 2019 n’avait d’ailleurs été rempli qu’à 52 %, précise Emmanuelle Paciullo, porte-parole du bureau de l’agence onusienne à Ottawa.

Si l’argent tarde tant à venir, c’est sans doute parce que les pays limitrophes du Venezuela ont longtemps pensé être capables de faire face à l’afflux de réfugiés, croit Renata Dubini. L’ampleur de la crise a fini par les forcer à se rendre à l’évidence : ils ont besoin d’aide.

Un nouvel appel de financement doit justement être lancé dans deux semaines, à Bogotá, pour venir en aide à l’ensemble des pays latino-américains qui ont ouvert leurs portes aux Vénézuéliens fuyant leur pays disloqué et affamé.

Plus de réfugiés au Canada

Le Canada, qui a pris position en faveur du président autoproclamé du Venezuela, Juan Guaidó, contre le président en exercice, Nicolás Maduro, dans l’épreuve de force qui oppose les deux camps depuis janvier 2019, joue déjà un rôle de premier plan dans le dossier vénézuélien, affirme Renata Dubini.

Sur le plan politique, il est très actif au sein du groupe de Lima, un ensemble de pays qui tentent de trouver une issue pacifique à la crise.

Le Canada a aussi fait des démarches auprès de la Banque mondiale pour la convaincre de mettre sur pied un programme de prêts à taux avantageux pour les pays d’accueil. Un programme semblable existe pour les réfugiés rohingya au Bangladesh.

Mais le Canada peut faire plus, en ouvrant davantage ses portes aux réfugiés vénézuéliens, souligne Renata Dubini.

Cette ouverture pourrait prendre la forme d’un programme d’accueil de réfugiés vénézuéliens calqué sur celui mis sur pied pour les Syriens dans la foulée de la crise migratoire de 2015.

Un tel volet permettrait notamment d’accueillir au Canada des personnes vulnérables, particulièrement des femmes, dont beaucoup sont forcées de se prostituer pour survivre. Mais Renata Dubini insiste aussi pour dire qu’avec leur haut taux de diplomation et leur débrouillardise, les Vénézuéliens constituent d’excellents candidats à l’immigration.

La responsable du HCR a d’ailleurs profité de son passage à Ottawa, vendredi, pour rencontrer des responsables des dossiers humanitaires et de l’immigration. L’agence de l’ONU compte revenir à la charge auprès du gouvernement canadien après la nomination du prochain cabinet ministériel.

Principaux pays d’accueil de réfugiés vénézuéliens

• Colombie : 1,4 million (sur une population de 48 millions d’habitants)
• Pérou : 865 000 (sur une population de 31 millions d’habitants)
• Chili : 288 000 (sur une population de 18 millions d’habitants)
• Équateur : 263 000 (sur une population de 16,5 millions d’habitants)

Source : Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés