Un an après l’élection de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil, quel impact a eu ce politicien d’extrême droite sur la démocratie la plus peuplée d'Amérique latine? Le « Trump des tropiques » promettait de « sauver » le pays de la crise économique, de la corruption et de la violence, mais aujourd’hui son gouvernement se retrouve lui-même dans l’embarras. Premier d’une série de trois reportages au cœur d’un Brésil profondément divisé.

Un « sauveur » qui perd des plumes

Il y a un an, ceux qui ont voté pour le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro espéraient un miracle. Un an plus tard, que pensent-ils de celui qui leur a été présenté comme un sauveur par l’Église évangélique ?

Un stade pour Dieu. Voilà comment les habitants de Rio, les Cariocas, appellent l’immense église évangélique du quartier de Meier. Ils comparent le lieu de culte au célèbre stade de soccer brésilien, le Maracana : pour la grandeur des lieux autant que pour la ferveur de ceux qui s’y présentent.

PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, LA PRESSE

L’Église universelle du règne de Dieu, dans le quartier Meier à Rio de Janeiro. Les Églises évangéliques gagnent en influence au Brésil à une vitesse fulgurante, ralliant près de 30 % de la population d’un pays traditionnellement catholique.

Nous sommes un lundi soir, autour de 18 h, lors de la visite de La Presse à l’Église universelle du règne de Dieu. Des milliers de personnes remplissent l’église qui, à l’œil nu, semble pouvoir accueillir quatre fois plus de monde que les plus grandes salles de la Place des Arts ou du Grand Théâtre de Québec. C’est le premier de trois services ce soir-là.

Sur la scène, défilent les uns après les autres des croyants qui ont vu leurs rêves exaucés par la prière : ils ont pu acheter une maison, obtenu un emploi ou guéri d’une maladie grave. Le pasteur conclut le défilé des bonnes nouvelles en appelant les fidèles à la quête : « Donnez à la hauteur de votre amour pour Dieu ! », les exhorte-t-il. L’église est bien organisée pour recevoir les dons. On peut même y payer par carte de crédit.

Après la lecture d’un passage de la Bible, une vidéo est diffusée sur d’immenses grands écrans : on y voit le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, doublé en portugais, parler des exploits de l’armée de son pays et des avancées technologiques et scientifiques en Israël. Le pasteur fait le lien entre le passage de la Bible lu plus tôt et les défis que doit relever Israël. Rien de surprenant là : l’Église évangélique soutient l’expansion de l’État hébreu dans les territoires occupés, croyant que la stabilité du pays permettra le retour du Messie, sauveur de l’humanité.

L’église politique

La politique est un sujet qui revient souvent dans les Églises évangéliques qui gagnent en influence au Brésil à une vitesse fulgurante, ralliant aujourd’hui près de 30 % de la population d’un pays traditionnellement catholique. En 2016, l’évêque de l’église de Meier, Marcelo Crivella, a été élu maire de Rio, promettant de rétablir l’ordre et la rectitude morale dans la ville du Carnaval.

Ce dernier, tout comme son ancienne organisation, a ensuite soutenu la candidature de Jair Bolsonaro pour l’élection présidentielle. Catholique, mais marié à une croyante évangélique, le politicien d’extrême droite n’a pas hésité à se faire baptiser par un pasteur évangélique dans le Jourdain.

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Jair Bolsonaro lors d’une visite des lieux saints à Jérusalem, en avril dernier

Le soir du grand débat électoral, l’an dernier, Jair Bolsonaro a préféré monter sur scène dans une église évangélique où on le présentait comme le « sauveur » du Brésil, plutôt que d’aller débattre de son programme à la télévision.

Et ça a fonctionné : la grande majorité des électeurs liés à l’Église évangélique ont voté pour Jair Bolsonaro, l’aidant à remporter le deuxième tour avec près de 10 % d’avance sur son rival, l’ancien maire de São Paulo Fernando Haddad. Le candidat qui promettait, comme le maire-évêque de Rio, le rétablissement de l’ordre dans le pays qui fait face à une vague de violence, le retour de la prospérité économique et la primauté des valeurs chrétiennes a aussi pu compter sur les gens d’affaires, notamment l’influent lobby agricole et les membres des forces de l’ordre. Les experts décrivent cette base électorale en utilisant trois mots en b : la balle (de fusil), le bœuf et la Bible. Se sont joints à eux une grande partie de la classe moyenne et des moins nantis qui ont été déçus par le dernier mandat du Parti des travailleurs, de gauche, note Rafael Soares Gonçalves, historien et professeur à l’Université catholique de Rio.

Des changements qui se font attendre

Un an plus tard, cependant, bien des électeurs de Jair Bolsonaro déchantent. « Tout le monde que je connais a voté pour Bolsonaro, dit Bianca Ribeiro, la propriétaire d’un salon de beauté dans le quartier de Copacabana, à Rio. On n’en peut plus d’avoir peur, de ne pas pouvoir marcher dans la rue le soir [à cause de la violence] et de voir l’économie faire du surplace », dit la femme d’affaires dans la quarantaine qui a vécu aux États-Unis et au Canada avant de mettre sur pied son commerce au Brésil. 

On nous avait promis un sauveur, mais pour le moment, on ne voit pas de changement.

Bianca Ribeiro, propriétaire d’un salon de beauté

Comme les évangéliques, les gens d’affaires ont voté massivement pour Jair Bolsonaro, et ce, même si ce dernier avouait lors de la campagne ne « rien comprendre à l’économie ». Le politicien d’extrême droite a plutôt confié le dossier à l’économiste de droite climatosceptique Paulo Guedes, qui est aujourd’hui à la fois ministre de l’Économie, des Finances, de l’Industrie, du Travail et du Commerce. 

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Le ministre aux nombreux portefeuilles économiques Paulo Guedes en compagnie du président Bolsonaro 

Ce dernier a notamment pour mandat de privatiser les entreprises étatiques et de promouvoir l’exploitation des ressources minières, aurifères et forestières de la forêt amazonienne.

Mais voilà, le retour de la prospérité se fait attendre. La croissance économique, qui a été dans le rouge en 2015 et 2016 – années au cours desquelles l’économie a rétréci de 7 % – ne dépasse pas 1 % depuis 2017 et devrait atteindre tout au plus 0,8 % à la fin de 2019. Le gouvernement Bolsonaro rejette la faute sur le gouvernement de gauche précédent.

Par contre, l’administration vient tout juste de faire adopter un projet de réforme des pensions qui devrait faire économiser au Brésil plus de 240 milliards de dollars par année en augmentant l’âge de la retraite à 62 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes, et en demandant une plus grande contribution aux travailleurs. Avant la réforme, l’âge de la retraite était de 53 ans chez les femmes et 56 ans chez les hommes.

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Eduardo Bolsonaro, fils du président pressenti un temps comme ambassadeur du Brésil à Washington

Cependant, des scandales de corruption secouent aussi le gouvernement qui est entré en poste en janvier 2019 avec comme principal objectif déclaré de combattre cette même corruption. Le parti qu’a joint Bolsonaro pour les élections – son neuvième en carrière – est au bord de l’éclatement. Cette semaine, Bolsonaro a aussi essuyé une autre défaite. Son fils – dont la principale qualification était, de son propre aveu, d’avoir cuisiné des hamburgers dans un restaurant américain – a dû renoncer à devenir ambassadeur à Washington devant la résistance du Congrès brésilien.

Les citations incendiaires du président (voir autres onglets) font aussi quotidiennement les manchettes.

Des appuis qui dégringolent

Si, à son arrivée au pouvoir en janvier, le gouvernement avait 49 % de soutien, selon un sondage de Ibope, ils n’étaient plus que 31 % à être satisfaits du gouvernement à la fin du mois de septembre, selon la même maison de sondage. Les Brésiliens qui croient que l’administration Bolsonaro est « mauvaise ou affreuse » ont grimpé de 11 % à 34 % dans la même période.

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Une grande bannière sur laquelle il est écrit « Dehors Bolsonaro » a été déployée à Rio lors d’une journée de grève nationale, le 14 juin dernier.

« C’est tout simplement un cauchemar pour les gens de ma génération qui ont lutté pour la démocratie et pour un Brésil plus juste, confie Jacqueline Pitanguy, sociologue et militante des droits de la personne. Bolsonaro est extrêmement violent dans ses propos par rapport à tout ce qui est lié à la gauche, le féminisme, la communauté LGBTQ et les Indiens. Il nie la science. Il vit dans sa propre vérité », dit-elle, résumant les critiques des opposants à celui que plusieurs surnomment le « Trump des tropiques ».

Derrière Bolsonaro

Pour le moment, cependant, la base électorale de Bolsonaro est prête à laisser une chance au politicien. Administrateur d’une compagnie de technologie de l’information, João Felipe Martins fait partie de ceux qui continuent de soutenir les actions du gouvernement. « Ce n’est pas long, huit mois, mais je pense que pendant cette période, il a fait plus que ses prédécesseurs qui ont été au pouvoir pendant quatre ans, mais ça n’a pas un impact immédiat », dit le Brésilien de la classe moyenne supérieure, rencontré dans un café du chic quartier de Laranjeiras.

L’homme peine cependant à nommer des actions concrètes posées par le gouvernement.

« Il a donné de l’argent aux mères qui ont eu le Zika et qui ont des bébés souffrants et il a rendu la bureaucratie plus efficace, notamment pour renouveler le permis de conduire », donne-t-il en guise d’exemple. Pendant qu’il parle, une autre cliente du restaurant, à une table voisine, roule les yeux, exaspérée.

Septuagénaire rencontrée dans un bistro de quartier, Dora Rodiji, elle, ne regrette en rien son vote. « Bolsonaro, c’est une bonne personne et un homme très intelligent. Et il n’y avait personne d’autre pour qui voter », dit-elle. Qu’est-ce qui lui a plu dans les idées du politicien d’extrême droite ? Sa défense de la famille traditionnelle et ses envolées homophobes. « Je suis d’accord avec lui sur la question des homosexuels. Qu’est-ce qu’on va faire avec eux ? Le Brésil a besoin de gens normaux. »

Dans le bunker de Glenn Greenwald

Glenn Greenwald a l’habitude des dossiers explosifs. Le journaliste a acquis sa renommée internationale en étant le premier à publier les révélations d’Edward Snowden sur le programme de surveillance électronique américain. Aujourd’hui, il a l’impression que l’histoire qui lui a valu un Pulitzer est de la petite bière par rapport à ce qu’il vit au Brésil. Sa vie est sens dessus dessous depuis qu’il a publié une enquête démontrant qu’un juge anticorruption archipopulaire est tout sauf blanc comme neige.

La maison de Glenn Greenwald et de son mari David Miranda est époustouflante. La vaste demeure a été construite autour d’un immense roc qui trône au milieu du salon. La grande pièce au plafond cathédrale est décorée d’œuvres d’art colorées et d’un grand globe terrestre sur pied. C’est sans aucun doute la plus belle prison dorée de Rio de Janeiro.

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Le journaliste Glenn Greenwald, son conjoint et député de la gauche David Miranda et leurs enfants dans leur résidence ultrasurveillée de Rio de Janeiro

Non, le journaliste qui a été le premier à rendre publiques les révélations d’Edward Snowden sur le vaste programme de surveillance électronique de la National Security Agency américaine n’est pas assigné à résidence, mais c’est tout comme.

Menacé de mort sur plusieurs tribunes, objet d’attaques homophobes incessantes, cible du président brésilien, Glenn Greenwald a dû se résoudre à vivre dans un bunker et ne sort qu’en véhicule blindé accompagné de gardes armés. La situation est la même pour son conjoint, député fédéral d’un parti de gauche, et pour leurs deux fils adoptifs.

PHOTO SERGE BOIRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le journaliste Glenn Greenwald

« Nous faisons face à un flot constant de menaces, de violence, d’insultes et d’invasions de la vie privée qui font que c’est plus difficile de gérer ça que l’histoire de Snowden, dit-il.

Le président demande mon emprisonnement. Des enquêtes ont été lancées contre nous. Un journaliste a même suggéré qu’on nous retire la garde de nos enfants.

Glenn Greenwald, journaliste

Pas surprenant du coup qu’on n’entre pas dans la maison familiale comme dans un moulin. Des gardes armés nous ont donné rendez-vous à quelques centaines de mètres du domicile des Greenwald-Miranda, dans le quartier cossu de Gávea, et nous ont escortés jusqu’au journaliste vedette de The Intercept.

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Quand, en 2016 et en 2017, ses amis de la gauche brésilienne lui disaient qu’une grande enquête anticorruption baptisée « opération Lava Jato » (lave-auto) était en fait un coup d’État déguisé en grande et vertueuse croisade judiciaire, Glenn Greenwald soupirait. « Je ne croyais pas à cette histoire. Je pensais que c’était exagéré », raconte aujourd’hui le journaliste qui vit au Brésil depuis plus d’une décennie et qui n’a jamais caché ses accointances avec les mouvements progressistes.

« En tant qu’Américain qui a vu tellement de gens riches et puissants avoir l’immunité même quand ils créent un régime de torture, qu’ils envahissent un pays sur la base d’une tonne de mensonges, je voyais de manière favorable le fait que les puissants du Brésil étaient mis derrière les barreaux par une procédure judiciaire », dit l’ancien avocat, qui s’est converti au journalisme dans la foulée du 11-Septembre, s’intéressant aux abus de pouvoir dans la guerre au terrorisme lancée par George W. Bush.

Au Brésil, les têtes se sont mises à tomber dans le tordeur du Lava Jato et le juge Sérgio Moro est devenu l’homme le plus populaire du pays. Un héros. En tout, plus de 400 poursuites ont été lancées en cinq ans. Des gestionnaires de la société pétrolière d’État, Petrobras, se sont retrouvés en prison. 

L’enquête a joué un rôle dans la destitution de la présidente Dilma Rousseff. Le mentor de cette dernière, l’ancien président Lula, s’est retrouvé derrière les barreaux. Sa condamnation l’a rendu inéligible pour l’élection présidentielle de 2018 alors qu’il était de loin le favori dans les sondages. Au pouvoir depuis 14 ans, son parti, le Parti des travailleurs (PT), a été discrédité.

Résultat : le 28 octobre 2018, Jair Bolsonaro, un député marginal de l’extrême droite, connu surtout pour ses déclarations outrancières, a raflé la présidence en promettant de continuer de « nettoyer » le pays de la corruption et des vices moraux de toutes sortes.

Une de ses premières décisions a été de nommer le juge Moro, qui venait tout juste d’écarter son plus grand rival politique, à la tête du ministère de la Justice et de la Sécurité publique.

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Le ministre Sérgio Moro et le président Bolsonaro, début octobre

Ce jour-là, Glenn Greenwald a sourcillé. « Ça a inquiété pas mal de monde qu’il accepte d’entrer dans le gouvernement de Bolsonaro, non pas en tant que juge impartial, mais à la faveur d’une nomination politique. »

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L’adresse courriel de Glenn Greenwald est mondialement connue de sources qui ont des tonnes de documents secrets à confier à un journaliste. Il a donc été le premier contacté par un individu qui avait en sa possession ce qu’il disait être quatre ans d’enregistrements de conversations ayant eu lieu entre les procureurs de Lava Jato et le juge Moro.

Avec ses collègues du Intercept, Glenn Greenwald a commencé à étudier le tout et affirme être tombé en bas de sa chaise.

J’ai été beaucoup plus choqué par ce que j’y ai appris qu’au sujet de la NSA qui pratiquait de la surveillance extrême.

Glenn Greenwald

Après avoir authentifié les documents et enregistrements, The Intercept a publié une série d’articles sur les coulisses de l’opération Lava Jato. On y apprend notamment que les procureurs et le juge, qui se disaient apolitiques et impartiaux, discutaient de la meilleure manière de s’assurer que Lula soit hors d’état de nuire et que son parti de gauche ne remporte pas les élections.

D’autres conversations montrent que le juge Moro a demandé aux procureurs de ne pas pousser plus loin une enquête sur les liens allégués entre le crime organisé et un des fils de Bolsonaro afin de ne pas nuire à sa carrière.

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Après la publication des articles, la réponse ne s’est pas fait attendre. Le juge Moro a affirmé être la « victime d’une attaque criminelle orchestrée par des pirates informatiques » et clamé que Glenn Greenwald était un « complice » de cette entreprise. Le président Bolsonaro a demandé que le journaliste soit mis derrière les barreaux. Les menaces de mort et les commentaires homophobes ont commencé à fuser de partout. La sécurité des Greenwald-Miranda, déjà en cause depuis que David Miranda est devenu député en remplacement d’un autre député LGBT qui avait dû fuir le pays l’an dernier, est devenue encore plus précaire.

PHOTO ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le député David Miranda, conjoint de Glenn Greenwald, et leurs enfants

« C’est dur pour les Occidentaux aux États-Unis et au Canada de comprendre que le Brésil est un pays dans lequel la violence politique est très réelle, note Glenn Greenwald. Jair Bolsonaro a été victime d’une attaque à l’arme blanche pendant la campagne. Nous avons vécu l’assassinat de l’une de nos meilleures amies, [la conseillère municipale] Marielle Franco, il y a 15 mois. Rio est aux mains des milices, composées d’anciens policiers et d’ex-militaires, et il a été démontré que [le président Jair] Bolsonaro et sa famille ont des liens étroits avec ces gens qui tuent sans sourciller. Ils ont tué des juges, des politiciens. Ce ne serait pas juste négligent de sortir dans la rue sans protection, sans gardes armés et sans véhicule blindé, ce serait complètement fou », explique le principal intéressé.

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PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva est toujours emprisonné.

Pour le moment, Lula est toujours derrière les barreaux et l’ancien juge devenu « super ministre » reste aujourd’hui l’un des hommes les plus populaires du Brésil. Cependant, sa cote de popularité est entachée et il est de bon ton, dans la classe politique, de critiquer ouvertement l’opération Lava Jato. 

Récemment, la Cour suprême a infirmé une décision du juge Moro et d’autres sont à l’étude. « Ça aurait été impensable il y a un an », croit le reporter, qui refuse cependant de comparer son enquête au Watergate, qui avait entraîné la chute de Nixon aux États-Unis.

« J’ai appris ça de Snowden. Il considérait que son rôle était non pas d’être le destructeur des programmes d’espionnage, mais d’être la courroie de transmission qui donne au public l’information nécessaire pour que ce dernier décide. Mon but n’est pas de forcer Moro à démissionner, de faire tomber le gouvernement ou de causer la fin de l’enquête, mais bien de donner au public, aux tribunaux, au Congrès brésilien l’information qu’ils auraient dû avoir depuis le début. »

Abonné aux controverses

Bolsonaro en dix citations incendiaires

PHOTO BLOOMBERG

Brutal, Jair Bolsonaro n’a pas peur des controverses ; il s’en nourrit.

Au sujet du viol

Je ne vous violerais jamais parce que vous ne le méritez pas.

En 2014, à la députée Maria do Rosário qui l’a accusé d’inciter au viol

Au sujet des homosexuels

Je serais incapable d’aimer un fils homosexuel. Je ne serai pas hypocrite : je préférerais que mon fils meure dans un accident plutôt qu’il se pointe avec un moustachu [un homosexuel]. À mes yeux, il serait mort.

 Au magazine Playboy en 2011

Au sujet des policiers qui tuent dans le cadre de leur travail

On doit accorder à la police, aux agents de la sécurité publique, l’exclusion d’illégalité [sorte d’immunité]. L’agent de police rentre dans la favela, résout un problème, et s’il tue 10, 15, 20 bandits en utilisant 15 ou 30 balles pour chacun, il doit être décoré et non pas poursuivi en justice.

 Lors d’une entrevue avec la chaîne Globo en août 2018

Au sujet de la dictature militaire

L’erreur de la dictature a été de torturer, et non de tuer.

 Lors d’une entrevue avec la chaîne Globo en août 2018

Au sujet du plus grand bourreau de la dictature militaire

Votre enseignante est de gauche ? Dites-lui de lire La vérité suffoquée [du colonel Alberto Brilhante Ustra, condamné en 2008 pour kidnapping et torture]. Lisez-le. Ce sont des faits, pas du bla-bla-bla de la gauche.

 Lors d’une rencontre ce mois-ci avec des élèves du secondaire devant le palais présidentiel de Brasilia. L’échange, qui a été immortalisé en vidéo, a notamment été rapporté par The Guardian.

Au sujet de la forêt amazonienne 

Il est faux de dire que l’Amazonie appartient au patrimoine de l’humanité, et c’est une erreur des scientifiques de dire que notre forêt est le poumon de la planète.

À l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre

Au sujet de la recrudescence des incendies, il y a quelques mois

Peut-être – je ne l’affirme pas – que ces gens des ONG font des gestes violents afin de nuire à mon image, à l’image du Brésil. Il y a une guerre contre le Brésil. Une guerre d’information.

Lors d’une conférence de presse en août alors que la communauté internationale s’inquiétait de son inaction

Au sujet de la lutte contre le racisme

Il ne peut y avoir de politique de lutte contre le racisme et le harcèlement. Tout est apitoiement sur soi. Le pauvre Noir, la pauvre femme, le pauvre gai […]. Tout est apitoiement au Brésil. On va en finir avec ça.

Lors d’une entrevue accordée à une télévision brésilienne six jours avant le deuxième tour de l’élection présidentielle, en octobre 2018

Au sujet des indigènes de son pays

Malheureusement, des gens, à l’intérieur et à l’extérieur du Brésil, soutenus par des ONG, continuent de traiter nos indigènes comme s’il étaient des hommes des cavernes et de les maintenir dans cette position.

Lors de son discours aux Nations unies, en septembre dernier. Les indigènes l’ont reçu comme une insulte et comme une justification des politiques gouvernementales remettant en cause leurs terres.

Au sujet des élections

Je ne peux pas parler du soutien des commandants des Forces armées, mais avec le soutien que je vois dans les rues, je n’accepterai pas de résultats d’élections qui ne proclament pas ma victoire.

Dans une entrevue avec la télévision brésilienne un mois avant le deuxième tour en 2018

Démocraties en péril

Trois décennies et demie. C’est l’âge de la démocratie brésilienne et c’est aussi l’âge de Petra Costa. La cinéaste qui a lancé l’été dernier sur Netflix The Edge of Democracy, un documentaire sur les événements qui secouent depuis cinq ans le pays le plus populeux d’Amérique latine a bien peur de survivre au système politique qui l’a vue naître. Jointe à Los Angeles, où elle est en tournée avec son film, elle a répondu aux questions de La Presse.

Q. Dans votre film, vous avez décidé de faire un lien direct entre le sort de votre pays et le vôtre. Pourquoi ?

Petra Costa : En 2016, il y a eu un tremblement de terre mondial qui a vraiment déstabilisé nos convictions. J’aurais pu faire un documentaire politique classique, mais ce qui me fascine en ce moment, c’est que partout dans le monde, je vois des citoyens ressentir du désespoir et un certain traumatisme en voyant la démocratie, que nous pensions être un droit de naissance, reculer. J’entendais mes amis en Angleterre et aux États-Unis parler du même phénomène et je voulais incarner la douleur que ressentent les citoyens actuellement à travers une histoire personnelle. Et le fait que j’ai le même âge que la démocratie brésilienne, ça a incarné tout ça de manière très concrète. D’autant que ma propre famille incarne les divisions au sein de la société brésilienne. Mes grands-parents étaient favorables au coup d’État militaire [dans les années 80] alors que mes parents se battaient contre. Des années plus tard, une grande partie de ma famille est favorable à Bolsonaro alors que l’autre est catastrophée. Et cette division est au cœur de la crise que nous vivons.

PHOTO GETTY IMAGES

Petra Costa, réalisatrice de The Edge of Democracy. On la voit ici au festival de Sundance, en janvier dernier.

Q. On comprend en voyant le film que vous êtes convaincue que l’élection de Bolsonaro est un coup monté de toutes pièces. Les récents articles de Glenn Greenwald (voir autre article) suggèrent la même chose. Êtes-vous capable de ressentir de la sympathie pour ceux qui l’ont élu ?

R. Bien sûr ! Il y a un dysfonctionnement dans le système politique brésilien. C’était devenu clair pour tout le monde que l’argent décidait de qui allait être élu. Donc, cette perception est la raison pour laquelle les gens ont arrêté de croire en la démocratie. Même chose aux États-Unis. Je comprends facilement comment les gens arrivent à ce constat. Il y a aussi eu beaucoup de confusion dans les médias de masse, donnant l’impression que les politiciens piquent l’argent des gens et que la politique elle-même est corrompue. Ça a banalisé la politique et ça a ouvert la voie à des candidats marginaux [comme Bolsonaro] qui disent qu’ils vont régler tous les problèmes.

Q. Un an après l’élection de Bolsonaro, qu’observez-vous ?

R. Il y a tellement de choses qui se sont passées que c’est déconcertant, notamment par rapport au degré de violence. Les gens se sentent maintenant autorisés à tuer. À Rio, c’est hallucinant. Les morts aux mains des policiers ont augmenté de 20 % en quelques mois. Avec les incendies en Amazonie, on voit que des gens se sentent autorisés à envahir les terres indigènes et à y mettre le feu pour augmenter la déforestation et prendre le contrôle des terres. En culture aussi, il y a un grand désinvestissement et un contrôle accru sur ce qui peut être fait ou non, notamment en termes de production cinématographique. C’est une destruction profonde de ce que nous avons mis plus de deux décennies à construire en termes de démocratie.

Q. Est-ce que le cas du Brésil est un avertissement à d’autres démocraties ?

R. En voyant le film, il y a des gens en Afrique du Sud, en Inde, en Russie, aux États-Unis qui m’écrivent pour me dire que ce qui se passe chez nous, au Brésil, se passe aussi chez eux. C’est une tendance mondiale : les politiciens croient qu’ils n’ont plus à respecter les règles, ils violent les normes démocratiques pour gagner les élections à n’importe quel prix, ils abusent de la loi et des tribunaux pour mener une guerre politique, pour détruire leurs opposants et ça finit par éroder la confiance des gens en la démocratie. Et une fois que ces croyances sont érodées, ça ouvre la voie à des autocraties et ça, c’est terrifiant.

Q. En est-on rendu là au Brésil ?

R. Nous pensions que la dictature militaire était une bête morte au Brésil, mais nous voyons qu’elle est en train de se réveiller. En 2016 déjà, il y avait des milliers de gens dans la rue qui réclamaient le retour du régime militaire. Et il y a eu un sondage dans lequel 80 % des Brésiliens disaient que la démocratie n’est pas le meilleur système de gouvernement. Dans le monde, 50 % de la population pense la même chose. Donc, l’érosion de l’attachement à la démocratie et la croyance que l’autocratie est une option se sont pointées. Tous ceux qui croient en la démocratie ont aujourd’hui le devoir quotidien de défendre le concept et les institutions qui y sont rattachées. Pour que la démocratie survive, il faut y consacrer notre vie, comme mes parents l’ont fait.

Rectificatif :
Dans l'introduction du dossier publié dimanche sur le premier anniversaire de l'élection de Jaior Bolsonaro au Brésil, nous avons écrit que le Brésil est la démocratie la plus populeuse des Amériques. On aurait dû plutôt lire que le pays est la démocratie la plus populeuse de l'Amérique latine. Nos excuses.