Nelson Deschênes aimait l’ayahuasca, cette boisson purgative servie par des chamans, au point de travailler comme « facilitateur » dans une retraite en pleine jungle, au Pérou. Mais sous l’effet du puissant hallucinogène, le Québécois s’est infligé des blessures mortelles le printemps dernier, affirme le quotidien péruvien Pro & Contra.

Originaire de Chicoutimi, Nelson Deschênes travaillait depuis janvier au centre de retraite Rainforest Healing Center, près d’Iquitos, dans la forêt amazonienne. Ce centre organise des rituels où les clients consomment cette drogue, une substance supposément curative qui existe depuis des siècles en Amazonie, mais qui est illégale au Canada (voir encadré).

Au Rainforest Healing Center, le Québécois avait comme tâche d’accompagner les clients qui déboursent entre 1715 $ et 2445 $ pour une retraite de 7 à 11 jours.

Selon le quotidien, quelques jours après son 33e anniversaire, en mars, Nelson Deschênes a bu du « yagé », une tisane à base de liane qu’il avait déjà consommée par le passé, alors qu’il n’y avait aucun client sur le lieu de retraite.

L’homme a toutefois souffert « d’hallucinations très intenses qui l’ont projeté au sol », indique l’article du média qui revendique être lu par 30 000 personnes.

Il [M. Deschênes] s’est mis à avoir des hallucinations. C’est à ce moment qu’il a pris un couteau et qu’il s’est infligé plusieurs coups. Il a ensuite été transporté à l’hôpital et est mort neuf jours plus tard.

Kevin Rodriguez, journaliste au quotidien péruvien Pro & Contra

Dans son article, M. Rodriguez raconte que le Canadien a rédigé une note, en anglais, alors qu’il était sous l’influence de l’ayahuasca : « Je t’aime. Je suis désolé. S’il vous plaît, pardonne-moi. Merci. »

Le reporter est catégorique : il a eu accès au rapport de police et celui-ci démontre que Nelson Deschênes avait consommé de l’ayahuasca le jour où il s’est mutilé et « plusieurs fois lors des jours ayant précédé sa mort ».

La police touristique d’Iquitos n’a pas voulu confirmer ou infirmer que M. Deschênes avait consommé de l’ayahuasca. « Le rapport d’autopsie montre qu’il s’agit d’un suicide. Il avait une marque de couteau à l’abdomen », a dit l’officier Luis Enrique Vela Loza à La Presse.

Le propriétaire du Rainforest Healing Center, Omar Gomez, aussi connu sous le nom de William Feldman, a refusé nos demandes d’entrevue téléphonique. Par écrit, il a indiqué que des tests sanguins avaient conclu que Nelson Deschênes n’avait pas de trace d’ayahuasca dans son corps. M. Gomez a également écrit que la police a déterminé que M. Deschênes s’est lui-même infligé les blessures et que le rapport des autorités indique que « personne n’est à blâmer ».

Le site internet du Rainforest Healing Center est toujours en ligne, mais M. Gomez affirme que le centre est fermé.

Sur la page Facebook de l’entreprise, la sœur de la victime a d’ailleurs publié un commentaire, 10 jours après la mort de Nelson Deschênes, dénonçant que le responsable de la retraite se serve de la famille pour redémarrer le centre sous une nouvelle identité. « Nous sommes en deuil de Nelson que nous avons perdu dans des circonstances nébuleuses dont on nous cache la vérité en tentant d’effacer les événements », écrit-elle.

Un « facilitateur »

Deanna Villa connaissait bien Nelson Deschênes. Il était son élève au centre Thai Massage Toronto. À la fin de sa formation, le Québécois avait même été embauché comme masseur à la clinique de l’école.

« Nelson était vraiment unique. Il avait une belle âme. Il était aimant, fort, drôle », se rappelle Mme Villa, fondatrice de l’établissement.

Au début de l’année, Nelson Deschênes a annoncé à son mentor qu’il prenait un congé de quelques mois pour devenir « facilitateur » au Rainforest Healing Center.

Ce n’était pas son premier voyage au Pérou. Il avait déjà mentionné qu’il avait consommé de l’ayahuasca par le passé. Quand il m’a annoncé [qu’il partait], il était tellement excité. Il avait très hâte de vivre cette nouvelle aventure.

Deanna Villa

Jessie Brown a travaillé à l’administration du Rainforest Healing Center pendant une courte période, mais elle n’a pas connu Nelson Deschênes. La thérapeute de couple de l’Oregon explique que le rôle du facilitateur, la fonction que Nelson Deschênes occupait, ressemble à celui d’une infirmière dans un hôpital.

« Le facilitateur aide les gens à comprendre leurs émotions, à comprendre ce qui leur arrive. Pendant la cérémonie d’ayahuasca, il est là pour répondre aux besoins de chacun. Si quelqu’un a besoin de soutien moral, de contention ou d’un seau pour vomir, il est là pour ça », raconte Mme Brown.

Leena (nom fictif) a aussi travaillé au Rainforest Healing Center pendant un an. Lors des cérémonies, c’est le chaman qui dirige le rituel et qui sert la potion brune au goût amer ; le facilitateur s’occupe quant à lui des tâches connexes, explique l’Américaine.

« Si quelqu’un a besoin d’aller à la toilette ou d’aller faire une marche, les facilitateurs sont là pour les accompagner. Ils sont même là pour nettoyer les vomissures dans les seaux. Ce sont comme des assistants », affirme celle qui préfère garder l’anonymat par crainte de représailles.

Un puissant hallucinogène

Selon le site internet du Rainforest Healing Center, l’ayahuasca « fait émerger des émotions négatives à la surface… un élément essentiel au processus de guérison ». La consommation de cette plante curative peut toutefois s’accompagner de symptômes comme des vomissements, de la diarrhée, des tremblements, des sueurs et des pleurs, mais « ces méthodes servent à purger ce qui doit être expulsé », indique le site.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU RAINFOREST HEALING CENTER

L’ayahuasca est une boisson hallucinogène
 faite de lianes.

Pour Jessie Brown, l’ayahuasca est véritablement un remède thérapeutique. « Ça te donne un autre regard sur la vie. Ça t’aide à comprendre ce qui est important. Tu cibles ce qui ne fonctionne pas dans ta vie et une fois la cérémonie terminée, tu te sens reconnaissant. Plusieurs personnes ont l’impression d’entamer un nouveau départ après la cérémonie. »

Leena parle quant à elle d’une plante extraordinaire qui « peut te faire voir la lumière ». Mais l’Américaine évoque aussi un côté sombre.

Cette plante fait sortir le bon et le méchant des gens. C’est difficile à expliquer, mais ça fait ressortir le négatif dans ta vie. C’est comme si tu regardais ta vie dans un miroir. Les Indigènes appellent l’ayahuasca “the Mother” ou “the Grandmother”. Une mère peut être extraordinairement aimante. Mais ça peut être très dur aussi.

Leena

Affaires mondiales Canada confirme que des agents consulaires ont fourni des services à la famille de Nelson Deschênes, mais le Ministère a refusé de dire si le Canadien avait consommé de l’ayahuasca.

« Lors de cérémonies de purification spirituelle et de consommation d’ayahuasca, plusieurs touristes qui ont été exposés à ces substances ont été gravement malades, ont été blessés, agressés ou ont même perdu la vie », a déclaré Barbara Harvey, porte-parole d’Affaires mondiales Canada. Il n’existe toutefois pas de statistiques concernant le nombre de Canadiens morts à l’étranger en raison de l’ayahuasca.

D’autres cas de Canadiens et d’ayahuasca qui ont fait la manchette

Sebastian Woodroffe, 41 ans

Le cas de Sebastian Woodroffe a fait la manchette partout au Canada… et au Pérou. Le Britanno-Colombien s’est rendu dans le pays d’Amérique du Sud pour en apprendre davantage sur l’ayahuasca afin de guérir des patients aux prises avec des problèmes de dépendance. Or, en avril 2018, Olivia Arevalo Lomas, l’une des chamans les plus célèbres du Pérou, a été tuée par balle et Woodroffe est devenu le principal suspect dans cette affaire. L’homme de Vancouver a été lynché par un groupe de villageois en colère.

Joshua Andrew Freeman, 29 ans

En décembre 2015, Joshua Andrew Freeman a assassiné Stevens Unais Gomes alors qu’ils prenaient part à une cérémonie d’ayahuasca, près d’Iquitos, au Pérou. Le Canadien a clamé qu’il avait voulu se protéger quand le Britannique l’avait attaqué avec un couteau de cuisine. Freeman a tenté de se défendre avec une casserole, puis il s’est servi d’un couteau de boucher pour mettre fin aux jours de Gomes. Les autorités locales ont jugé qu’il s’agissait en effet d’un geste d’autodéfense.

Jennifer Logan, 32 ans

En janvier 2015, la Saskatchewanaise Jennifer Logan séjourne deux semaines dans une retraite d’ayahuasca, dans le sud du Pérou. Elle doit ensuite rejoindre sa mère qui voyage dans le même pays. Or, lors d’une cérémonie, les vomissements de Jessica Logan durent beaucoup plus longtemps que ceux des femmes qui l’accompagnent. Quand elle perd connaissance, le personnel de la retraite la transporte à l’hôpital, mais les médecins sont incapables de la réanimer. Une autopsie révèle que la victime est morte d’un œdème pulmonaire, soit une accumulation d’eau dans les poumons.

Illégal au Canada, mais…

L’ayahuasca est illégal au Canada, car il contient de la diméthyltryptamine (DMT) et de l’harmaline, deux substances hallucinogènes. Cinq groupes religieux – dont quatre au Québec – ont toutefois reçu une exemption de Santé Canada. C’est d’ailleurs la première fois que l’organisme fédéral accorde des dérogations pour l’importation d’une substance illégale au pays en vertu de la liberté de religion. « Le Ministère ne délivre pas d’exemption à moins d’être convaincu que l’organisation a mis en place des politiques et des procédures pour réduire au minimum les risques pour la santé et la sécurité des participants », explique Maryse Durette, porte-parole de Santé Canada. Les cinq groupes qui ont obtenu une exemption pratiquent une religion appelée Santo Daime. L’un des sacrements est la consommation d’ayahuasca. Les détails des exemptions, comme la quantité de « yagé » qui peut être importée, sont confidentiels, affirme toutefois Santé Canada.

Les groupes ayant l’autorisation d’importer de l’ayahuasca: 

Ceu da Divina Luz do Montréal

Céu do Montréal

Beneficent Spiritist Center União do Vegetal (Montréal)

Église Santo Daime Ceu do Vale de Vida (Val-David)

Ceu de Toronto