(Guatemala) La mission anti-corruption de l’ONU au Guatemala, instance unique au monde, a plié bagages mardi après que le président Jimmy Morales l’eut déclarée indésirable malgré d’indéniables succès dans la lutte contre l’impunité.

Après des mois de polémiques et de batailles juridiques, et contre l’avis de la Cour constitutionnelle, le gouvernement de M. Morales avait annoncé en janvier la fin de la mission de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG), rattachée à l’ONU.  

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a exprimé mardi l’espoir «que les efforts pour combattre l’impunité continueront» après le départ de la mission. Il a aussi souhaité que «les droits de ceux qui sont impliqués contre l’impunité au Guatemala soient protégés».

Le président Morales, qui quittera le pouvoir en janvier 2020, est revenu sur sa promesse de prolonger le mandat de la Commission jusqu’à 2021. En début de mandat, il avait pourtant loué le travail de la CICIG, avant de l’accuser d’outrepasser ses fonctions.  

AP

Jimmy Morales

Les tensions remontent à 2016 lorsque son frère et son fils avaient été accusés de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. Elles sont montées d’un cran à l’été 2017 quand la mission onusienne et le bureau du procureur ont demandé la levée de l’immunité présidentielle pour enquêter sur les soupçons de financement électoral illicite pendant la campagne de 2015.

La CICIG s’était installée au Guatemala en 2007 pour enquêter aux côtés des autorités locales sur toutes sortes d’affaires sensibles et aider les institutions publiques à faire le ménage dans leurs diverses structures, souvent infiltrées par le crime organisé, faisant de ce pays de 17,7 millions d’habitant un paradis de l’impunité.

Indépendante du gouvernement « du point de vue politique, organisationnel et financier », la CICIG comptait quelque 150 employés, dont la moitié d’étrangers, et fonctionnait sur des fonds provenant de la coopération internationale.

Son principal succès a été la mise au jour en 2015 d’un vaste réseau de corruption et de détournement de fonds au sein des douanes, contraignant à la démission le président de l’époque, Otto Pérez. Ce scandale avait  jeté des milliers de Guatémaltèques dans les rues pour manifester contre la corruption.

«Merci à la CICIG»

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Alfonso Portillo escorté par des policiers le jour de son extradition aux États-Unis, le 24 mai 2013.

Elle a également permis l’arrestation de l’ex-président Alfonso Portillo (2000-2004), condamné aux États-Unis pour détournement de fonds publics. Ses enquêtes ont aussi mené à l’arrestation et l’incarcération d’importants chefs d’entreprise, de militaires et de personnalités politiques qui se croyaient jusque-là intouchables.

Dernière personnalité mise en cause, l’ex-première dame et finaliste à la présidentielle Sandra Torres, arrêtée lundi pour son implication présumée dans une affaire de corruption au sein de son parti remontant à 2015, selon enquête du parquet menée conjointement avec la CICIG.  

Alors que la mission a démantelé 70 structures criminelles, fait juger 600 personnes et obtenu 400 condamnations, son départ laisse désormais planer l’incertitude sur le sort des enquêtes en cours et sur la poursuite de la lutte contre l’impunité.

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Sandra Torres

«Il y a eu des enquêtes sur des puissants, qui se cachaient et qui ont été démasqués, des membres de l’élite économique qui étaient intouchables. Ils […] ne veulent plus qu’aucun scandale ne soit mis au jour», s’indigne Eleonora Muralles, présidente de l’association Familles et amis contre la délinquance et les enlèvements (FADS).  

Pour Alvaro Montenegro, membre du collectif Alliance pour les réformes, éviter un recul dans la lutte anti-corruption va représenter un «grand défi» pour la société civile guatémaltèque.

L’expérience de la CICIG «doit être utilisée comme une feuille de route pour l’avenir, également dans d’autres pays du monde où la corruption fait du mal à la société», a déclaré dans un communiqué Ole von Uexkull, directeur de Right Livelihood.  

En septembre, cette fondation suédoise avait remis son prix «Nobel alternatif» au chef de la CICIG, l’ex-juge colombien Ivan Velasquez, et à l’ex-procureure générale Thelma Aldana.  

Cette dernière, écartée de la course à la présidentielle d’août et désormais en exil, a exprimé sa reconnaissance sur Twitter : «Merci à la CICIG pour ce legs de justice et de conscience citoyenne. Ensemble, nous l’avons fait».