« C’est un petit pas pour moi, mais un immense pas en avant pour les femmes colombiennes. » C’est en paraphrasant la célèbre déclaration de Neil Armstrong foulant la surface de la Lune que Claudia López a commenté, dimanche dernier, son élection à la mairie de Bogotá.

Chemise d’un blanc éclatant, cheveux courts, lunettes à monture fine, la candidate de l’Alliance verte vient en effet de fracasser plusieurs plafonds de verre. Première femme élue à la mairie de la capitale de la Colombie, poste que plusieurs considèrent comme le plus influent au pays après celui de président, elle est aussi la première femme ouvertement homosexuelle à diriger une capitale en Amérique latine.

Pour bien saluer sa victoire, elle n’a d’ailleurs pas hésité à embrasser sa compagne, la sénatrice Angélica Lozano Correa, sous une pluie de confettis verts.

« Je ne me suis jamais cachée dans aucun placard », a clamé la politicienne de 49 ans, qui s’engage à combattre « le machisme, le racisme, l’homophobie et les inégalités sociales ».

Tout un programme dans un pays de forte tradition catholique où les femmes ont payé un lourd tribut à la violence lors du conflit armé qui a déchiré la Colombie pendant plus d’un demi-siècle. Et qui n’est pas tout à fait éteint, malgré la signature d’un traité de paix, en 2016.

Signe qu’il reste encore un long chemin à parcourir vers l’égalité, les femmes composaient à peine 10 % des candidats aux élections municipales et régionales de dimanche dernier.

Courage

Claudia López se distingue aussi par sa provenance sociale. Fille d’une enseignante, aînée d’une famille de six enfants qui a passé sa vie hors des quartiers chics de la capitale, elle aime à souligner qu’elle a fait son chemin en retroussant ses manches, finançant ses études – elle est titulaire d’un doctorat en sciences politiques d’une université de Chicago – grâce à des prêts et des bourses d’excellence.

La carrière de cette écolo qui a pourfendu la corruption est marquée par le courage. Claudia López a fait sa marque comme chercheuse au sein d’une commission d’observation électorale qui a mis en lumière les liens entre des politiciens haut placés et des groupes paramilitaires. Cet engagement lui a d’ailleurs valu des menaces de mort, la forçant à s’exiler pendant quelque temps, pour assurer sa sécurité.

Réputée pour son franc-parler, Claudia López a collaboré avec le journal colombien El Tiempo, avant d’en être congédiée pour avoir critiqué la manière dont le quotidien a couvert un scandale de corruption.

Si certains lui reprochent de dépasser parfois les limites de la bienséance, ses partisans apprécient ses réparties tranchantes. Comme celle qu’elle avait adressée pendant la campagne électorale à un animateur de télévision qui lui reprochait de donner l’impression de se « disputer ».

« Ne me parlez pas avec ce chauvinisme condescendant », a-t-elle répliqué.

Son amie et chercheuse Renata Segura a confié à Associated Press comment Claudia López avait dû ramer à contre-courant durant son mandat de sénatrice, de 2014 à 2018, alors qu’elle suscitait des quolibets et se faisait appeler « monsieur López ».

C’était une période particulièrement difficile pour la politicienne, parce qu’elle faisait face à des collègues ouvertement agressifs, a souligné Renata Segura.

Dans son programme, l’ancienne sénatrice ne se contente pas de revendiquer l’égalité des droits pour les femmes et les membres des minorités et de combattre la corruption. Elle milite aussi pour la préservation des milieux naturels de Bogotá, ville de 7 millions d’habitants où la spéculation immobilière fait rage, et qui étouffe sous la pollution. Claudia López a aussi dans sa manche des projets de transport en commun.

Signe des temps ?

Son élection marque-t-elle le signe d’un changement ? Les élections de dimanche ont donné lieu à d’autres reculs pour la droite du président Iván Duque, qui a perdu notamment la ville de Medellín, ou encore la province d’Antioquia.

Mais l’arrivée de Claudia López à la mairie de Bogotá s’inscrit aussi dans un mouvement plus vaste qui se manifeste ailleurs sur la planète, et qui est marqué par un clivage politique de plus en plus tranché entre les grandes villes et les régions.

C’est ainsi qu’à la mi-octobre, le candidat progressiste Gergely Karácsony a remporté la mairie de la capitale hongroise, Budapest, infligeant un revers important au premier ministre Viktor Orbán. Il y a moins d’un an, Rafał Trzaskowski, candidat de l’opposition libérale, a remporté la mairie de Varsovie, la capitale d’une Pologne qui a depuis redonné le pouvoir au parti conservateur Droit et Justice.