Après une semaine de grèves et de manifestations qui ont paralysé l’Équateur et poussé son gouvernement à se réfugier hors de la capitale, le mouvement de contestation qui agite ce pays a pris un tournant plus radical, hier.

Cinq civils, dont un dirigeant indigène, ont perdu la vie dans les affrontements avec les forces de l’ordre, qui ont aussi fait des dizaines de blessés. Les manifestants se sont targués d’avoir pu détenir huit policiers. Tandis que la principale organisation autochtone, la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE), a rejeté l’offre de dialogue lancée par le président, Lenín Moreno.

« Aucun dialogue avec un gouvernement assassin », a tranché le président de CONAIE, Jaime Vargas, dans un communiqué publié hier.

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Les mesures d’austérité de Quito ont frappé davantage les classes de population les plus pauvres, notamment les autochtones.

Ces développements mettent en lumière le rôle de premier plan que jouent les indigènes équatoriens dans cette explosion sociale déclenchée par l’imposition, il y a une semaine, d’un train de mesures d’austérité qui ont fait plus que doubler le prix de l’essence. Ces mesures, qui ont aussi eu des répercussions sur les conditions de travail des Équatoriens, répondaient aux conditions du Fonds monétaire internationale pour l’attribution d’un prêt de 4 milliards de dollars.

Extraction controversée

La hausse du prix du carburant a été l’élément déclencheur du mouvement de révolte. Mais celui-ci est aussi le résultat d’une accumulation de frustrations, une « écœurantite aiguë » chez les peuples autochtones qui se sentent négligés par le pouvoir, note Nicolas Mainville, Québécois établi en Équateur depuis trois ans.

Les mesures d’austérité ont frappé davantage les classes de population les plus pauvres, notamment les autochtones, souligne-t-il. Mais ce qui les a fait sortir de leurs gonds, dans ce pays d’Amérique latine généralement stable, c’est surtout « la politique d’extraction minière et pétrolière massive sur leurs territoires ancestraux ».

Établi à Lago Agrio, en Amazonie équatorienne, ce biologiste et coordonnateur en défense territoriale autochtone pour l’organisation Amazon Frontlines affirme qu’avec l’arrivée au pouvoir de Lenín Moreno, au printemps 2017, la course vers l’extraction des ressources s’est accélérée.

« Moreno a eu la fâcheuse habitude d’ouvrir l’Amazonie aux pétrolières en leur disant : “Venez exploiter nos ressources”, sans aucune consultation et sans aucun retour économique pour les peuples autochtones », observe Nicolas Mainville.

Le boom pétrolier n’a pas bénéficié aux autochtones. Tout ce qu’on leur a légué, c’est la contamination des terres.

Nicolas Mainville

En Équateur, pays de 16 millions d’habitants, les autochtones forment une mosaïque de petits peuples. « Une seule nouvelle concession pétrolière peut changer brutalement la vie de tout un peuple », souligne Nicolas Mainville.

La politique d’austérité tranche avec les années de pouvoir de Rafael Correo, le prédécesseur de Lenín Moreno, qui avait introduit une série de mesures sociales durant sa décennie à la présidence, de 2007 à 2017.

Répression policière

Issu du même parti de gauche, Lenín Moreno a imprimé à l’Équateur un virage plus libéral – ce qui lui a valu d’être qualifié de traître par son prédécesseur, qui vit et enseigne en Belgique.

Joint mardi à Lago Agrio, Nicolas Mainville n’avait pas pu quitter la ville depuis cinq jours. Les principaux commerces et les écoles étaient fermés, les routes étaient bloquées par les manifestants, les coupures de courant se multipliaient.

La répression des manifestations a été très brutale, et l’ambiance est volatile, c’est arrivé comme une surprise dans ce pays très pacifique.

Nicolas Mainville

Amnistie internationale a d’ailleurs dénoncé hier la brutalité de la répression policière, et a appelé le gouvernement équatorien à « mettre fin aux arrestations massives et arbitraires, à l’usage excessif de la force et à la torture ». Plus de 700 personnes ont été arrêtées depuis une semaine dans ce pays d’Amérique latine.

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Affrontements entre les forces policières équatoriennes et des manifestants à Quito, mercredi dernier

En réponse à l’embrasement social, Quito a aussi imposé l’état d’urgence, qui comprend un couvre-feu, et a déménagé le gouvernement de la capitale vers la ville de Guayaquil, dans le sud-est du pays, où des contre-manifestants ont manifesté hier en appui au régime de Lenín Moreno.

Les manifestants exigent l’annulation des mesures d’austérité dont les conséquences sont particulièrement désastreuses pour les segments de population les plus démunis, et l’abandon de la politique « extractiviste » du gouvernement Moreno.

Nicolas Mainville souligne aussi que de nombreux préfets et maires se sont « rangés du côté du peuple », rejoignant les manifestants pour protester contre la politique d’austérité. Celle-ci ne peut « qu’augmenter la pauvreté et creuser les écarts entre les riches et les pauvres », dénonce-t-il.