Joaquin «El Chapo» Guzman dirigeait bien le cartel de Sinaloa avec Ismael «El Mayo» Zambada : c'est ce qu'a déclaré mercredi l'un des premiers témoins appelés à la barre au deuxième jour du procès du narcotrafiquant mexicain à New York, donnant force détails sur le fonctionnement du réseau.

Emprisonné aux États-Unis depuis son arrestation en 2008, ce témoin, Jesus Zambada, frère d'El Mayo, s'est présenté lui-même comme un ex-responsable du cartel de Sinaloa, qui aurait exporté quelque 154 tonnes de cocaïne aux États-Unis de 1989 à 2014, selon la justice américaine.

«Je faisais partie du cartel, j'étais le chef pour la ville de Mexico», où «se concentrait la majorité de la cocaïne qui arrivait de Colombie» avant de partir pour les États-Unis, a déclaré, en espagnol, cet homme de 57 ans.

Quant à savoir qui dirigeait le cartel, il s'agissait «principalement de Joaquin Guzman et Ismael Zambada», a-t-il affirmé, contredisant les affirmations faites la veille par l'avocat de la défense, Jeffrey Lichtman.  

Ce dernier avait assuré dans sa plaidoirie introductive mardi qu'El Chapo n'était qu'un «bouc émissaire» et qu'Ismael Zambada était le vrai patron du cartel.  

La justice américaine présente, elle, M. Guzman comme l'un des barons de la drogue les plus dangereux qu'elle ait jamais eu entre ses mains.

Vedettes et pots-de-vin

Jesus Zambada, qui a travaillé pendant 20 ans pour le cartel, a expliqué en détail le fonctionnement du réseau, depuis ses premiers «investissements» en Colombie, jusqu'à ce qu'il récupère une grande partie du trafic de cocaïne colombienne vers les États-Unis.

Organigramme, cartes et photos à l'appui, le témoin a expliqué comment transportait la cocaïne : le plus souvent dans des vedettes rapides, à raison de trois tonnes de drogue par embarcation et cinq à sept vedettes toutes les trois ou quatre semaines. La drogue était aussi acheminée parfois par avion, par bateaux de pêche ou par conteneurs, a-t-il ajouté.

Il a expliqué que son travail consistait notamment à compter les quantités de cocaïne acheminées, et à transmettre les chiffres à son frère Ismael. La drogue partait ensuite pour la frontière américaine, en général dans des camions de gaz.

Quelque 80 à 100 tonnes de cocaïne quittaient ainsi Mexico pour les États-Unis annuellement, représentant des «milliards de dollars» que narcotrafiquants colombiens et mexicains se partageaient à parts égales.  

Le prix de la drogue allait croissant au fur et à mesure que la drogue voyageait vers le nord : en Colombie, le kilo de cocaïne se vendait environ 3000 dollars, au Mexique il valait entre 10 000 et 13 000 dollars, avant d'atteindre 20 000 dollars une fois arrivé en Californie et jusqu'à 35 000 dollars à New York.

Jesus Zambada a aussi affirmé qu'il «contrôlait» l'aéroport de Mexico, et évoqué des «pots-de-vin» versés à «un groupe gouvernemental» afin d'assurer la protection du cartel, mais sans donner immédiatement d'autres précisions.

La veille, l'avocat d'El Chapo, Jeffrey Lichtman, avait accusé le président mexicain sortant, Enrique Pena Nieto, et son prédécesseur, Felipe Calderon, d'avoir touché des centaines de millions de dollars de pots-de-vin du cartel, des accusations que les deux hommes avaient immédiatement démenties.

«Menteurs», «dégénérés»

Jesus Zambada, dont la déposition doit se poursuivre jeudi, s'affirme déjà comme un témoin-clé pour l'accusation dans ce procès censé durer plus de quatre mois au tribunal de Brooklyn, placé sous surveillance renforcée.

Avant qu'il ne soit appelé à la barre, M. Lichtman avait attaqué d'avance la crédibilité de certains témoins, les qualifiant de «menteurs», de «dégénérés», voire d'«ordures».

L'avocat avait annoncé que l'accusation allait appeler, outre le frère d'Ismael Zambada, son fils, également détenu aux États-Unis, ainsi qu'un ex-bras droit d'El Chapo, Miguel Angel Martinez, qui serait selon M. Lichtman un cocaïnomane redoutable.

Depuis le banc des accusés, Joaquin Guzman, qui risque la prison à perpétuité, a écouté mercredi Jesus Zambada avec attention, prenant parfois des notes, ou regardant fixement sa femme, Emma Coronel, une ex-reine de beauté de 29 ans.    

Depuis son extradition aux États-Unis en janvier 2017, ce Mexicain de 61 ans est détenu dans des conditions très strictes, dues à deux précédentes évasions rocambolesques au Mexique, en 2001 et 2015.  

Même sa femme - elle-même la nièce d'un ancien baron du cartel de Sinaloa qui a depuis été abattu - ne peut lui rendre visite.

El Chapo plaide non coupable, mais la justice américaine assure avoir réuni une montagne de preuves contre lui, dont quelque 300 000 pages de documents et 117 000 enregistrements audio.