Après l'Irlande en mai, un autre pays catholique et conservateur se dotera-t-il du droit à l'avortement ? Les sénateurs d'Argentine votent ce mercredi, et la tendance est au rejet du projet de loi, après son adoption par les députés.

Dans un pays où l'Église exerce une influence historique, renforcée par la présence d'un pape argentin à Rome, une majorité de sénateurs (37 sur 72) ont fait connaître leur intention de voter contre le texte.

Le projet de loi, qui légalise l'interruption volontaire de grossesse (IVG) au cours des 14 premières semaines de grossesse, a été adopté de justesse par les députés le 14 juin (129 voix pour, 125 contre).

Devant le Congrès à Buenos Aires, la place était divisée en deux, à l'image de la société argentine sur l'avortement, les partisans des deux camps mobilisés dans une atmosphère festive.

Non à la clandestinité

« Avortement légal à l'hôpital », scandaient un groupe de jeunes femmes, portant des perruques vertes.

« La question est "voulons-nous que l'avortement soit légal ou clandestin"; le débat n'a rien à voir avec "pour ou contre l'avortement". Que l'Église arrête de mettre son nez là où ça ne la regarde pas, qu'elle nous laisse choisir pour nous-mêmes », témoigne Celeste Villalba, une étudiante de 20 ans, un foulard vert autour du cou.

D'après les estimations, 500 000 avortements sont pratiqués chaque année en Argentine.

Selon l'étudiante, mobilisée depuis trois ans pour le droit à l'avortement, « le sénateur ne veulent pas se mettre l'Église à dos ».

Mirtha Martini, 64 ans, a fait un détour par la place du Congrès pour témoigner son soutien, séduite par « l'engagement de cette jeunesse ».

« J'ai honte que l'Argentine soit aussi arriérée. L'avortement est un droit élémentaire », se plaint-elle.

« Le monde vous regarde »

Ce sont les mouvements féministes qui ont donné ces deux dernières années un élan déterminant à la revendication du droit à l'avortement en Argentine, ce qui a conduit le président argentin de centre-droit, Mauricio Macri, à ouvrir le débat au Parlement pour la première fois de l'histoire du pays.

Amnistie internationale et Human Rights Watch ont appelé les sénateurs argentins à voter en faveur du texte pour des raisons de santé publique. « Le monde vous observe », leur a écrit Amnistie.

À Madrid, deux militantes de l'organisation féministe Femen ont manifesté seins nus en brandissant des foulards verts devant l'ambassade d'Argentine.

Si un côté de la place du Congrès est à dominante verte, le camp des anti-IVG est, lui, bleu ciel. Des curés en soutane y supervisent l'installation d'une chapelle et d'affiches de la Vierge de Lujan.

Ils se présentent comme les défenseurs de la vie. « Sauvons les deux vies », celle de la femme et celle du foetus, est la consigne qui figure sur leur foulard triangulaire.

« Il y a une grande démonstration de foi, les paroisses sont mobilisées dans tout le pays. Il faut défendre la vie », explique Federico Beruete, le curé d'une paroisse de La Plata, à 60 kilomètres de Buenos Aires.

Pour lui, « le fait d'avoir un pape argentin a incontestablement aidé » lors du bras de fer sur l'avortement.

Guadalupe Aguirre, 20 ans, a fait 900 kilomètres de voyage depuis la province de San Luis pour manifester mercredi devant le parlement.

« On ne peut pas accepter qu'une mère tue son enfant, dit-elle. C'est une question de moralité. Si une femme ne veut pas de l'enfant, qu'elle continue sa grossesse et donne son enfant en adoption ».

Si les sénateurs suivent le chemin des députés, l'avortement deviendra légal et gratuit, et pourra être pratiqué durant les 14 premières semaines de grossesse.

« Dans le camp catholique, on se fait à l'idée d'une légalisation, si ce n'est pas à court terme, à moyen terme. Tous les secteurs de la société semblent se préparer à la légalisation de l'avortement. Tôt ou tard », assure la sociologue Sol Prieto.

Si le « non » l'emporte, il faudra probablement attendre 2020 avant que la question de l'avortement puisse de nouveau être examinée par le parlement.

« Je rejette le projet de loi, il est mauvais et ne passera pas », a déclaré la sénatrice Silvia Giacoppo, de la coalition gouvernementale Cambiemos (Changeons). Partisan du texte, le sénateur péroniste Miguel Angel Pichetto reconnaissait que l'affaire était mal engagée. « Il y a une position consolidée en faveur du "non", a-t-il admis, mais on ne relâche pas nos efforts, on ne peut pas continuer de punir les femmes avec ce traumatisme ».

Le résultat du vote est attendu mercredi dans la soirée, voire dans la nuit de mercredi à jeudi.