Dans un climat de vives tensions sociales au Venezuela, l'opposition et des ONG ont condamné mardi le procès de dizaines de civils dans des tribunaux militaires, dénonçant une manoeuvre du gouvernement pour juguler les mouvements de protestation qui secouent ce pays depuis début avril.

Selon Jesus Suarez, le général chargé de la région Centre (incluant Caracas), sur 780 personnes interpellées, 251 ont été mises à la disposition de tribunaux militaires pour «agression visant un militaire» et «association en vue de (fomenter) la rébellion» au cours de la vague de manifestations orchestrées par les antichavistes (du nom du défunt président Hugo Chavez, 1999-2013).

Soixante-treize d'entre elles ont été emprisonnées sur ordre de ces juridictions dans l'État de Carabobo (centre), selon Alfredo Romero, directeur de l'ONG Foro Penal.

Survenue peu après l'annonce par le président socialiste Nicolas Maduro de son intention de modifier la Constitution, cette mesure «illégale» jette à nouveau de l'huile sur le feu dans un pays déjà très divisé au plan politique.

Le chef de l'État ne s'est pas encore prononcé sur ces juridictions militaires.

Dans l'après-midi, le Parlement, seule institution publique contrôlée par l'opposition, a adopté un texte condamnant ces procès intentés dans le cadre du plan Zamora, opération militaire, policière et civile visant à contrer un éventuel coup de force.

«C'est une pratique propre aux dictatures», a lancé l'Uruguayen Luis Almagro, secrétaire général de l'Organisation des États américains (OEA), qui intervenait depuis Washington par visioconférence.

«La Constitution est claire, la juridiction militaire n'est pas pour les civils. Y faire comparaître des manifestants, c'est violer les droits de l'Homme», a estimé le président du Parlement Julio Borges dans une déclaration adressée au ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino Lopez.

Pour le constitutionnaliste José Vicente Haro, cette disposition viole l'article 261 de la Constitution, en vertu duquel la compétence de ces tribunaux «se limite à des délits de nature militaire».

«Rupture de l'État de droit»

Les audiences ont débuté vendredi dernier sur une base militaire à Valencia, la capitale de l'État de Carabobo, mais ont ensuite été transférées vers un quartier de cette ville, théâtre les 2 et 4 mai d'actions de protestation contre Nicolas Maduro et du pillage de plus de 100 commerces.

«On est en train de violer le droit des citoyens à être jugés par leurs pairs, des civils, et à un procès équitable. C'est une façon de traquer les dissidents et d'empêcher les manifestations», a déclaré l'avocat Tony Marval.

Selon des ONG, le gouvernement a mis en place cette mesure, car la procureure générale de la Nation, Luisa Ortega, seule voix discordante au sein du camp présidentiel, a dénoncé des arrestations arbitraires dans le cadre des manifestations et refusé d'inculper ces personnes.

«Cela signifie une rupture de l'État de droit au Venezuela», a commenté la directrice de l'ONG Control Ciudadano, Rocio San Miguel.

Nicolas Maduro, dont sept Vénézuéliens sur 10 souhaitent le départ dans un contexte de crise économique aiguë, selon les sondages, assure que les défilés de l'opposition ont dégénéré en «actes terroristes» et en «insurrection armée» pour le faire chuter.

Le vice-président Tarek El Aissami a affirmé mardi que dans le cadre de l'opération Zamora, des «cellules armées» liées à l'opposition avaient été démantelées.

Le président vénézuélien, qui peut compter sur le soutien crucial de l'armée, assure que l'assemblée constituante «citoyenne» qu'il est en train de mettre en place est la seule voie vers la paix.

La moitié des 500 membres de cette assemblée seront désignés par des groupes sociaux (syndicats, retraités...) sur lesquels, affirme l'opposition, M. Maduro a la mainmise, les autres seront élus en fonction d'un découpage par circonscription municipale.

Des analystes redoutent que le pouvoir ne place ainsi nombre de ses partisans. L'opposition refuse de participer à ce processus.