Au-delà de la surpopulation carcérale, le massacre d'une centaine de détenus dans des prisons du nord du Brésil la semaine dernière prend racine dans la guerre des gangs pour le contrôle de l'approvisionnement et de la vente de cocaïne.

Le pacte tacite de non-agression entre factions du crime organisé au Brésil a volé en éclats en juin, quand le gros bonnet de la drogue Jorge Rafaat Toumani a été assassiné à la frontière paraguayenne.

Cette attaque à la mitrailleuse lourde dans un stationnement, digne d'un film hollywoodien, a été attribuée au puissant Premier Comando de la Capitale (PCC), fondé à São Paulo, qui tente aujourd'hui d'étendre son emprise au nord du pays.

Son objectif : contrôler les frontières avec la Colombie, le Pérou et la Bolivie, portes d'entrée de la cocaïne dans le pays, second consommateur de la poudre blanche et ses dérivés, en particulier le crack, après les États-Unis.

La rupture entre le PCC et le Comando Vermelho (CV) de Rio de Janeiro, l'autre grande faction historique du pays, a été consommée la semaine dernière, avec le massacre d'une centaine de détenus, la plupart décapités, voire éviscérés, dans des prisons du nord du Brésil.

Les cartes étant redistribuées, les autres gangs de narcotrafiquants ont dû choisir leur camp au niveau local.

C'est le cas de la Famille du Nord (FDN), alliée du CV, qui, comme son nom l'indique, exerce son influence dans la région septentrionale du pays, barrée par la forêt amazonienne.

Résultat : 56 membres présumés du PCC ont été brutalement massacrés dans la nuit du 1er au 2 janvier dans la principale prison de Manaus, la capitale de l'Amazonie.

« Le Comando Vermelho empruntait les routes du sud (par le Paraguay) et a dû trouver des solutions au nord. Il s'est donc allié à la FDN pour créer une route alternative à celle du PCC qui veut dominer tout le marché brésilien », explique à l'AFP le procureur Marcio Sergio Christino, spécialiste du crime organisé.

Territoire empiété

Fondé à São Paulo, initialement pour revendiquer de meilleures conditions de détention après le massacre de Carandiru, qui a fait 111 morts après l'intervention de la police dans une prison en 1992, le PCC compte aujourd'hui plus de 20 000 membres.

En plus du trafic de drogue, l'organisation dirigée par Marcos Willians Herbas Camacho, alias « Marcola » incarcéré en 1999, a investi aussi dans le transport public, des petits clubs de soccer et même une raffinerie de pétrole clandestine.

Son grand rival, le Comando Vermelho, est né à Rio dans les années 1970, d'une alliance entre prisonniers politiques communistes opposés à la dictature et détenus venus des favelas.

Après s'être spécialisé dans les braquages et les enlèvements, le CV s'est affirmé comme l'acteur majeur du trafic de drogue, surfant sur le boom de la consommation de cocaïne.

Une domination entamée par l'émergence du nouveau concurrent de São Paulo. Selon Alexander Araujo, procureur de Rio, le CV est moins organisé que le PCC, n'a pas de vocation hégémonique et voit son rival empiéter sur son propre territoire.

Avant même l'assassinat de Jorge Rafaat, les relations entre les deux organisations ont commencé à tourner au vinaigre quand le PCC s'est allié à des factions dissidentes du CV à Rio.

Le PCC cherchait ainsi à étendre sa sphère d'influence jusqu'à l'emblématique favela de la Rocinha, la plus grande d'Amérique Latine.

« Narcosur »

La suprématie nationale n'est pas le seul enjeu de cette guerre des gangs. Avec des 17 000 kilomètres de frontières, très poreuses par endroit, car situées en pleine jungle amazonienne, le Brésil est devenu une plaque tournante du trafic de drogue mondial.

« Le PCC a réussi à devenir le premier cartel brésilien de trafic international », observe M. Christino. Le procureur parle même d'un phénomène de « Narcosur », terme inspiré du Mercosur, marché commun des pays d'Amérique du Sud.

Depuis ses frontières avec la Colombie, la Bolivie et le Pérou, les trois plus gros producteurs mondiaux de cocaïne, le Brésil se trouve au carrefour du transport par cargos vers l'Europe.

La drogue traverse le pays par voie terrestre et part vers le Vieux Continent à bord de navires transatlantiques, le plus souvent après avoir fait escale en Afrique.

Une position stratégique qui pousse des organisations comme le PCC à se rapprocher des parrains colombiens, selon une enquête des autorités brésiliennes.