Entre une économie pétrolière en ruine et des politiciens accaparés par une crise constitutionnelle sans fin, les Vénézuéliens s'apprêtent à passer un triste Noël. Notre collaboratrice à Caracas est allée à leur rencontre dans les rues de la capitale.

La vie semble normale dans les rues de la capitale vénézuélienne. La ville se réveille au son des klaxons des voitures qui roulent vers le coeur commercial de Caracas. Le centre grouille d'employés pressés et de vendeurs ambulants.

Les citations populistes de celui que l'on nomme « le libérateur », l'emblématique Simón Bolívar, et de l'ancien président Hugo Chávez, adulé par les foules, colorent les panneaux le long de l'autoroute centrale. « Si nous voulons mettre fin à la pauvreté, nous devons donner le pouvoir aux pauvres », lit-on sur l'un des murs à l'entrée de Caracas.

Mais la réalité est tout autre. Alors que le régime chaviste avait réduit le nombre de pauvres, la pauvreté rattrape aujourd'hui de manière inquiétante la majorité des Vénézuéliens dans ce qui était, autrefois, une corne d'abondance. Certains taxis arborent un sac plastique en guise de vitre, car ce matériau est désormais difficile à trouver. En fin de journée, des dizaines de personnes courent serrées les unes contre les autres par peur d'être agressées. Caracas est, désormais, la ville la plus dangereuse du monde, selon un rapport de l'organisation Insight Crime.

Chaque jour, de longues files d'attente se forment le long des supermarchés, des boulangeries et des pharmacies, plusieurs heures durant. Les Vénézuéliens font face à l'une des pires pénuries de leur histoire, dans une nation pétrolifère en plein effondrement économique. Dévasté par la chute des cours de l'or noir, le Venezuela souffre de la plus forte inflation sur la planète. Celle-ci devrait atteindre 1500 % en 2017.

Dans le tumultueux centre de la ville, à quelques mètres du congrès national à Caracas, Carmen Rojas vend des appels téléphoniques, des cigarettes à l'unité et des caramels afin d'arrondir ses fins de mois. Elle surveille également les motos garées au croisement de rues où elle travaille toutes les fins de semaine et pendant les vacances, comme aujourd'hui.

« L'ÉTAT NE PAIE QUE RAREMENT SES EMPLOYÉS »

Officiellement, Carmen travaille à temps plein comme femme de ménage au sein de la fondation nationale El Niño Simón, organisme d'aide à l'enfance qui relève du ministère de l'Éducation. Depuis près de deux ans, son salaire a subi de plein fouet l'impact de la forte inflation et de la dévaluation de la monnaie locale, le bolivar. L'État, explique-t-elle, ne paie que rarement ses employés.

« Toutes les personnes de mon entourage ont un deuxième travail, comme chauffeur de taxi ou serveur dans un restaurant », dit-elle.

Ses quatre enfants se tiennent près d'elle. L'une de ses filles, Oriana, âgée de 21 ans, tient dans ses bras un nourrisson de 7 mois.

Cette famille, issue du quartier populaire d'Antimano, à l'ouest de la ville, reçoit un sac de nourriture distribué par l'État toutes les trois semaines : deux paquets de pâtes, deux paquets de riz, du sucre, de l'huile et deux cartons de lait. Cette aide parcimonieuse est la bienvenue, mais les Rojas peinent néanmoins à acheter des denrées et des produits de base comme les couches. Ce produit importé coûte 25 000 bolivars, alors que le salaire minimum est de 27 000 bolivars par mois depuis novembre 2016.

« Nous ne savons pas comment nous allons fêter Noël. Nous accepterons ce que Dieu nous offre. Le plus important est de conserver un esprit positif », souligne Carmen.

S'ÉCHAPPER VERS DES CIEUX PLUS CLÉMENTS

Les premiers rayons de soleil transpercent le ciel lorsque Robinson Soto s'ajoute à la longue file patientant devant une boulangerie du centre de la capitale. Ce Péruvien de 17 ans vit dans le quartier de San Bernardino, à Caracas, depuis neuf ans. Il a quitté son district natal de Lurigancho-Chosica, au Pérou, afin d'aider son père à travailler dans un kiosque à journaux au Venezuela.

« Nous sommes condamnés à rester ici, car mon père a un kiosque et il lui est difficile de le vendre, explique le jeune homme. Nous y avons mis toutes nos économies. Nous souffrons beaucoup, car nous avons moins de clients du fait de l'augmentation des prix », dit-il. À titre d'exemple, un chocolat qui valait 50 bolivars il y a un an coûte désormais 800 bolivars.

Terre d'immigration, le Venezuela a ouvert ses portes aux immigrés après la Seconde Guerre mondiale et lors du boom pétrolier des années 70. Aujourd'hui, la majorité des Vénézuéliens cherchent à s'échapper vers des cieux plus cléments.

« Nous faisons la queue une fois par semaine pour acheter des produits subventionnés par l'État selon notre numéro de carte d'identité », explique Robinson. « Souvent, nous ne trouvons pas ce que nous recherchons, notamment de la farine de maïs blanche, du pain ou du papier hygiénique, alors nous devons payer plus cher chez les revendeurs », ajoute-t-il.

Surnommés bachaqueros en espagnol, ces revendeurs de produits subventionnés ont une des activités les plus rentables au Venezuela du fait de la crise alimentaire et humanitaire. Elle est cependant illégale. Ils font généralement la queue devant les supermarchés et les pharmacies toute la nuit pour profiter de la détresse des gens.

Ce matin, Robinson espère acheter deux baguettes de pain à 500 bolivars. Autrement, il devra débourser 800 bolivars chez les bachaqueros.

« NOUS PEINONS À SURVIVRE »

Aucun des nombreux passants de la place centrale Concordia à Caracas ne s'arrête devant le kiosque à fleurs multicolore de Ninfa Tores. Quand on ne dispose pas de l'essentiel, on ne s'offre pas le superflu. La vendeuse vénézuélienne de 40 ans gagne moins que le salaire minimum, soit 23 000 bolivars par mois, en vendant des fleurs depuis cinq ans.

Travailler est une chose nouvelle pour elle. Dans les années 90, le salaire de son époux, employé dans une entreprise espagnole d'impression, suffisait à faire vivre cinq personnes. Leurs jumeaux de 26 ans sont autistes et ont besoin de soins médicaux spécialisés. Ils ont toujours été scolarisés dans des écoles privées, mais aujourd'hui, la famille ne peut plus se permettre ce luxe. Elle peine même à se procurer un médicament anticonvulsif dont les jumeaux ont besoin. « Nous sommes en pleine crise et nous devons aller de pharmacie en pharmacie afin de chercher, en vain, des médicaments. Avant, on pouvait acheter ce traitement à n'importe quel coin de rue », dit Ninfa. Heureusement, un ami prêtre qui revenait d'un voyage au Mexique lui en a procuré.

Ninfa doit travailler et bénéficie en outre de l'aide de sa fille aînée, Maria, qui est vendeuse dans une boutique de jouets. Mais en raison de la crise économique, Maria va perdre son travail le 1er janvier. « Nous vivions une vie tranquille alors que maintenant, nous peinons à survivre », souligne Ninfa.