L'eau se fait rare, à La Paz: trois heures par jour. Aux trois jours. La tension grimpe dans la capitale bolivienne, qui peine à organiser des distributions d'eau. Le pays traverse sa pire sécheresse en 25 ans. Et les autorités préviennent que le pire reste à venir.

« J'ai vu des bagarres », raconte Steve Bravo, en parlant des deux longues files qui se forment près des camions-citernes qui viennent distribuer de l'eau potable, parfois sous surveillance militaire, dans les quartiers où l'aqueduc s'est tari.

« On n'a jamais vu ça à La Paz », poursuit le musicien franco-bolivien, contacté par La Presse, expliquant que beaucoup de commerces subissent aussi les contrecoups de la pénurie, comme les restaurants, dont les toilettes ne fonctionnent tout simplement plus.

« On ne peut pas cuisiner, on ne peut rien laver, on ne peut même pas se laver nous-mêmes ! » - Nicolas Alejandro Rodriguez, professeur d'université joint par La Presse

« On nous avait promis huit heures [d'approvisionnement] d'eau tous les trois jours », déplore-t-il, mais il n'y en a finalement que pendant trois heures.

« En plus, la qualité de l'eau a diminué, cette eau n'est pas potable », ajoute-t-il, déplorant également le cafouillage des distributions d'eau potable par camions-citernes.

« Dans les écoles, il y a des enfants qui tombent malades à cause de la consommation d'eau non potable », indique Steve Bravo.

Les autorités de trois régions ont d'ailleurs proclamé la fin des classes deux semaines plus tôt que prévu en raison de la sécheresse, rapportait hier la radiotélévision publique britannique BBC.

LA FAUTE DE LA « PACHAMAMA »

Les réservoirs d'eau qui alimentent la plus haute capitale du monde, qui se situe à quelque 4000 mètres d'altitude dans la cordillère des Andes, ainsi que sa voisine El Alto, sont pratiquement à sec.

Celui d'Ajuankhota, par exemple, n'est plus qu'à 1 % de sa capacité habituelle.

L'état d'urgence nationale a été décrété lundi par le gouvernement bolivien face à cette sécheresse, la pire en 25 ans, affirment les autorités, selon qui 2016 a été l'année la plus chaude depuis un siècle en Bolivie.

« Ils disent que c'est la faute de la "pachamama" », la Terre-Mère, s'insurge Steve Bravo, qui reproche plutôt aux autorités leur laxisme dans la gestion de l'eau.

« Ça n'arrive pas du jour au lendemain que les réservoirs se vident, il y a eu un manque de prévention ! », s'exclame-t-il.

Les manifestations de colère à l'endroit du gouvernement se multiplient d'ailleurs dans la capitale et dans le reste du pays, où sept des 10 principales villes vivent des coupes d'approvisionnement en eau.

Les autorités sont notamment accusées d'avoir tardé à rationner l'eau et de ne pas avoir adapté les infrastructures à la croissance urbaine au fil des ans.

RISQUE DE CRISE ALIMENTAIRE

La situation en milieu rural est « aussi critique », indique Jean-Alexandre Fortin, coordinateur pour Oxfam Québec en Bolivie, contacté par La Presse.

Le manque d'eau touche quelque 625 000 hectares de cultures, ainsi que 565 000 bêtes d'élevages, énumère-t-il.

« Le prochain élément, c'est la crise alimentaire qui peut venir dans les prochains mois. » - Jean-Alexandre Fortin, coordinateur pour Oxfam Québec en Bolivie

Oxfam Québec, qui travaille d'ordinaire sur des projets d'aide au développement, a d'ailleurs délaissé ce volet depuis que l'état d'urgence a été décrété pour se consacrer à une intervention humanitaire.

L'organisation intervient « particulièrement en milieu rural » pour distribuer de l'eau ainsi que des filtres ou pour creuser des puits.

Elle n'exclut toutefois pas d'intervenir également en zone urbaine en cas de besoin.

« La situation à La Paz est assez critique, constate Jean-Alexandre Fortin. Si les réservoirs ne se remplissent pas rapidement, on parle d'un mois de réserves. »