Larmes, cris, références à Dieu : le procès en destitution de la présidente du Brésil Dilma Rousseff a pris une tournure théâtrale mardi au Sénat, avant un vote historique mercredi qui devrait mettre fin à 13 ans de gauche dans le pays.

Au cinquième jour de ce procès, ni l'avocat de la défense ni celle de l'accusation n'ont pu retenir leurs larmes en évoquant la dure bataille politique durant depuis des mois entre pro et anti-destitution.

Le motif officiel de cette destitution annoncée? Le maquillage des comptes publics pour camoufler l'ampleur du déficit, via un tour de passe-passe faisant incomber certains frais à des banques publiques, et l'approbation de trois décrets engageant des dépenses sans le feu vert du Parlement.

Mais en réalité, Dilma Rousseff est attaquée «pour avoir osé remporter une élection qui contrariait les intérêts de ceux qui voulaient changer le cap du pays et ne pas avoir empêché la poursuite des enquêtes sur la corruption au Brésil», a affirmé l'ex-ministre de la Justice José Eduardo Cardozo, défendant la première femme élue à la tête du Brésil en 2010.

La destituer serait «une peine de mort politique», a-t-il clamé, car alors l'ex-guérillera de 68 ans serait interdite de toute fonction politique pendant huit ans.

Son départ marquerait aussi le point final à quatre gouvernements consécutifs du Parti des travailleurs (PT) au Brésil, depuis 2003.

Larmes et drame

L'avocate de l'accusation Janaina Paschoal a quant à elle assuré que Mme Rousseff avait commis des «crimes de responsabilité» en maquillant les comptes pour minimiser la crise historique frappant la première économie d'Amérique latine.

«La destitution est un remède constitutionnel auquel nous devons recourir quand la situation devient particulièrement grave et c'est ce qui s'est passé», a-t-elle dit, n'hésitant pas à invoquer Dieu dans sa plaidoirie.

«C'est Dieu qui a fait en sorte que plusieurs personnes en même temps se soient aperçues de ce qui se passait dans le pays».

Elle a conclu en larmes en demandant pardon pour «la souffrance» qu'elle a causée à Mme Rousseff.

Après une pause déjeuner, les sénateurs chargés d'instruire ce procès, sous la direction du président du Tribunal suprême fédéral (STF) Ricardo Lewandowski, ont commencé à prendre la parole, disposant chacun de dix minutes pour s'exprimer, avec 66 inscrits pour le faire.

Dramatique, le sénateur dissident du PMDB (centre droit), Roberto Requiao, a demandé aux parlementaires «s'ils étaient prêts pour la guerre civile» en cas de destitution, car «le peuple brésilien qui a connu le goût de l'ascension sociale ne retournera pas facilement à la «senzala» (la maison des esclaves, ndlr)».

Quant au sénateur Ataides Oliveira du PSDB (droite), parti éclaboussé comme la majeure partie de l'élite politique par le scandale de corruption Petrobras, il a prédit d'un air solennel : «Demain (mercredi) le Brésil sera rendu aux Brésiliens et sortira des griffes de ce parti corrompu» (le PT).

Vote électronique

Ce défilé durera tard dans la nuit. Puis, mercredi, la séance s'ouvrira sur la lecture par M. Lewandowski de son rapport résumant le procès, avant le vote électronique.

Les 81 sénateurs devront répondre à la question : «Dilma Rousseff a-t-elle commis un crime de responsabilité?». S'ils sont plus de 54 (les deux tiers) à voter «oui», elle sera écartée définitivement du pouvoir.

Selon un décompte du quotidien Folha de Sao Paulo, ce plancher est déjà atteint, avec 54 sénateurs pour, 20 contre et 7 indécis.

Pour la défense de Mme Rousseff, tous ses prédécesseurs ont eu recours aux manoeuvres fiscales incriminées et il s'agit donc d'un «coup d'État» institutionnel orchestré par l'opposition de droite, sous la baguette de son ancien vice-président devenu rival, Michel Temer (PMDB), 75 ans, qui assure déjà l'intérim depuis sa suspension en mai.

Si elle est destituée, il la remplacera jusqu'aux prochaines élections présidentielle et législatives fin 2018, malgré son casier - une condamnation pour dons excessifs à des campagnes électorales - qui l'a rendu inéligible pour huit ans.

Tout aussi impopulaire que sa rivale, mais se déclarant «absolument serein», il attend sa destitution puis sa propre investiture pour s'envoler mercredi en Chine pour un sommet du G20.

Lundi, Dilma Rousseff avait fait une grande démonstration de combativité en venant assurer elle-même sa défense au Sénat, avant de répondre, patiemment et calmement, pendant plus de 14 heures aux questions des parlementaires.

En 1992, l'ex-président Fernando Collor avait démissionné la veille du vote devant l'évincer.

«Votez contre la destitution, votez pour la démocratie», a-t-elle lancé aux sénateurs, dont plus de la moitié sont soupçonnés de corruption ou visés par une enquête.