Le gouvernement colombien et la guérilla des FARC ont scellé mercredi à Cuba un accord de paix historique visant à mettre un terme définitif à un conflit de 52 ans qui a fait des centaines de milliers de victimes.

Au terme de près de quatre ans d'âpres négociations à La Havane, les parties se sont entendues sur «un accord final, intégral et définitif» qui devra être soumis à référendum le 2 octobre prochain avant d'entrer en vigueur.

Cet accord sur les six points de l'agenda des pourparlers est voué à «mettre définitivement fin à un conflit armé de plus de 50 ans», indique un texte signé par les négociateurs. Il marque aussi la clôture officielle des pourparlers menés depuis novembre 2012 à La Havane sous l'égide de Cuba et la Norvège.

«On peut maintenant proclamer que le combat des armes a pris fin, et commence celui des idées», a réagi peu après l'annonce le chef négociateur et numéro 2 des Farc Ivan Marquez, évoquant la future transformation de la guérilla en mouvement politique.

Depuis Bogota, le président colombien Juan Manuel Santos s'est félicité avec «une profonde émotion, une grande joie» de la conclusion de l'accord et a salué la fin de «la tragédie de la guerre».

«Colombiens, la décision est entre vos mains», a-t-il déclaré, assurant à ses compatriotes que le référendum serait le vote «le plus important» de leur vie.

En Colombie, l'annonce faite à Cuba a été accompagnée de manifestations de joie. «On a pu le faire ! On a pu le faire !», se réjouissaient dans les rues de Bogota des habitants.

Les félicitations d'Obama

À Washington, la Maison-Blanche a annoncé que le président Barack Obama avait appelé son homologue colombien pour le féliciter en ce «jour historique». Les États-Unis financent depuis février un plan de paix de 450 millions de dollars en Colombie.

Quatrième tentative de paix depuis le début du plus ancien conflit du continent en 1964, ce processus a failli achopper à plusieurs reprises. Mais un dénouement favorable était attendu depuis le 23 juin dernier, lorsque la guérilla marxiste et le gouvernement ont conclu un accord portant sur un cessez-le-feu bilatéral et définitif et sur le désarmement des FARC.

Au cours des mois ayant précédé cet accord, les affrontements avaient été contenus à un niveau jamais atteint depuis des décennies, notamment à la faveur d'un cessez-le-feu unilatéral observé par les FARC depuis juillet 2015.

Une fois l'accord de paix final validé, la rébellion doit commencer à réunir ses troupes pour les désarmer. Le cessez-le-feu devra être contrôlé par un mécanisme tripartite comprenant le gouvernement, les FARC et une mission de l'ONU.

Les délégations n'ont pas précisé si l'accord définitif devra être signé par le président colombien et le chef suprême des Farc Timoleon Jimenez, dit «Timochenko», avant d'entrer en vigueur.

«Le pays en avait grand besoin»

Dans un parc du nord de la capitale, plusieurs centaines de Colombiens ont religieusement suivi l'annonce de mercredi soir sur écran géant, arborant notamment des ballons imprimés d'un «Oui», mot d'ordre des partisans de l'accord dans la perspective du référendum.

«Ce n'est pas la paix, c'est un pas vers la paix, mais cela va unir un pays qui en avait grand besoin», déclarait très émue à l'AFP Marcela Cardenas, 24 ans.

Selon le protocole établi, le désarmement des FARC devra être bouclé en 180 jours. Les deux parties se sont aussi mises d'accord sur la façon de juger les militaires et rebelles accusés des crimes les plus graves pendant un conflit qui a officiellement fait quelque 260 000 morts, 45 000 disparus et 6,9 millions de déplacés.

Une amnistie est prévue pour ceux ayant commis des actes moins graves comme la rébellion ou le port illégal d'armes.

En vue du référendum, de récents sondages indiquent que le «oui» devrait l'emporter, mais une forte opposition se fait entendre, dans le sillage de l'ex-président (2002-2010) Alvaro Uribe, principal opposant aux pourparlers.

Ce scrutin «marquera le début (de la paix). Si le non l'emporte, des accords peuvent être remaniés d'un point de vue juridique mais ce serait politiquement très compliqué. La guerre pourrait revenir», explique à l'AFP Ariel Avila, analyste du conflit de l'Observatoire de la paix et de la réconciliation.

Si cette paix se concrétise, elle ne signifiera pas pour autant la fin immédiate du conflit en Colombie, où la seconde guérilla du pays, l'Armée de libération nationale (ELN) et les bandes criminelles continuent de défier le gouvernement.

Mais l'espoir est permis avec ces avancées cruciales, conjuguées à l'annonce en mars de futurs pourparlers de paix entre Bogota et l'ELN.

Le plus ancien conflit des Amériques en quatre points

(BOGOTA) - Le gouvernement colombien a conclu mercredi soir près de quatre ans de négociations de paix avec la guérilla des FARC, un acteur clé de la guerre interne qui déchire ce pays depuis plus d'un demi-siècle.

Voici les quatre points principaux du plus ancien conflit armé du continent américain:

Les acteurs

Au fil des décennies, l'armée a affronté plusieurs guérillas: les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxistes), issues en 1964 d'une insurrection paysanne; l'Armée de libération nationale (ELN - encore active); le Mouvement du 19 Avril (M-19, démobilisé en 1990); l'Armée populaire de libération (EPL, démobilisée en 1991), outre des groupes moins importants et aujourd'hui dissous.

Les milices paramilitaires d'Autodéfense unies de Colombie (AUC), surgies dans les années 1980 et financées par les grands propriétaires terriens, ont été démobilisées entre 2003 et 2006 après avoir parfois collaboré avec les militaires.

Les narcotrafiquants, qui ont mis le pays à feu et à sang dans les années 1980/90, ne sont pas considérés comme acteurs du conflit. Mais guérillas comme paramilitaires ont été, d'une manière ou d'une autre, impliqués dans le trafic de stupéfiants, source de financement.

Les origines

Ce conflit complexe, dans un pays à la topographie difficile de montagnes et de jungles, est généralement daté des années 60 lorsque les guérillas se sont armées pour réclamer une répartition des terres plus équitable. Mais des analystes le font remonter au milieu du XXe siècle, à une période connue sous le nom de La Violence pour les sanglants affrontements entre partis conservateur et libéral. D'autres le datent même des années 1920, déjà marquées par des insurrections paysannes.

Des experts, auditionnés par les négociateurs du gouvernement et de la guérilla, ont mis en exergue des causes multiples, dont l'exclusion sociale et politique des plus pauvres, un féroce bipartisme, et le déplacement massif de ruraux qui a amplifié la concentration des terres agricoles et le développement de bidonvilles.

Les faits les plus graves

FARC: nombreux enlèvements de longue durée comme celui de l'ex-candidate présidentielle Ingrid Betancourt en 2002 pendant six ans, et massacres tel celui de Bojaya (Choco, nord-ouest) qui la même année a fait 79 morts. La justice leur attribue aussi l'attentat à la voiture piégée du club El Nogal, à Bogota, qui a fait 36 morts en 2003.

ELN: prises d'otages massives, comme celle d'un avion de la compagnie colombienne Avianca en 1999, et attentats meurtriers tel celui de Machuca (Antioquia, nord-ouest) où elle a dynamité un oléoduc, dans le cadre de sa lutte contre l'exploitation des ressources naturelles, et provoqué une fuite de pétrole qui a incendié un village, faisant 84 morts.

Paramilitaires: tristement célèbres pour leur cruauté et le massacre de villages entiers, dont ils accusaient les habitants de collaborer avec les guérillas, ainsi celui d'El Salado en 2000 avec 60 personnes tuées.

M-19: prise du palais de justice de Bogota en 1985, repris violemment par l'armée, affrontement qui a fait une centaine de morts et 11 disparus.

Armée: mise en cause pour sa pratique des «faux positifs», des centaines d'exécutions extrajudiciaires de civils déclarés comme guérilleros tombés au combat par des militaires afin d'obtenir primes et promotions.

Les victimes

Le conflit a fait depuis les années 60 au moins 260 000 morts et 45 000 disparus, ainsi que 6,9 millions de déplacés internes, ce qui place la Colombie parmi les dix nations les plus touchées par ce problème, devançant même la Syrie selon l'ONU. Elle est en outre, après l'Afghanistan, le pays le plus miné au monde, avec quelque 11.500 victimes de mines antipersonnel, dont plus de 2000 morts.