Sur un trottoir de Tucuman, un frigo rempli de plats cuisinés attend d'être ouvert. Dans cette ville du nord de l'Argentine, comme à Buenos Aires, ce nouveau mode de distribution de nourriture se développe alors que le chômage et l'inflation explosent.

«J'étais fatigué de jeter la nourriture à la poubelle et de voir des gens qui la fouillaient peu après. Je me suis demandé : "pourquoi ne pas la leur donner dans des conditions dignes ?"», explique à l'AFP Luis Pondal, restaurateur de cette région à 1200 kilomètres de la capitale et pionnier argentin des «frigos sociaux».

Ces réfrigérateurs en libre service sont apparus en Allemagne et en Espagne il y a quelques années pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Ils se propagent désormais en Argentine, où une inflation de 40 % par an fait flamber le prix des aliments.

«Il n'y a pas que les sans-abris qui fouillent les poubelles à la recherche d'un bout de pain ou de légumes, mais aussi des gens biens habillés qui ont l'air d'avoir un travail. Manger est devenu trop cher» en Argentine, assure Luis Pondal.

Sur la cinquantaine de frigos qui ont vu le jour ces derniers mois à travers ce pays, longtemps appelé «le grenier du monde», l'un d'entre eux est branché au coeur de la célèbre place de Mai, où se trouve le palais présidentiel à Buenos Aires.

«Prends ce dont tu as besoin»

La 3e économie d'Amérique latine, premier exportateur mondial de farine et d'huile de soja et 4e producteur de maïs, a pris un virage libéral sous l'impulsion du nouveau président de centre-droit Mauricio Macri.

Dans un contexte de forte inflation, de vagues de licenciements et d'augmentation du coût des services publics, un récent rapport de l'Université catholique argentine (UCA) souligne l'augmentation de la pauvreté.

Elle touche désormais 13,8 millions d'Argentins, soit un tiers (34,5 %) de la population et 1,4 million de plus que lors de la prise de pouvoir du nouveau président en décembre (29 %), selon l'UCA.

«Prends ce dont tu as besoin», invite un panneau sur la porte du frigo de la place de Mai. Géré par l'ONG Red Solidaria (réseau solidaire), il est alimenté par les invendus des restaurants du quartier. Une «penderie sociale» lui tient compagnie, avec des vêtements gratuits et en libre service, à l'instar des plats.

«Il y a de plus en plus de gens qui viennent. Aujourd'hui, il n'y a pas eu assez de nourriture et quand tu sens que quelqu'un vient et que tu ne peux pas lui donner à manger, tu n'es pas totalement satisfaite», raconte Felicitas Solano, une bénévole.

«L'idée est que l'on ne voit pas ces personnes faire la manche. Qu'elles arrivent et se servent sans que personne ne leur donne (la nourriture). C'est un concept plus solidaire et plus digne», abonde Gabriel Shneider, un des responsables de l'ONG.

Flou juridique

Dans la situation que connaît l'Argentine, l'envie de développer les frigos sociaux provient «de l'indignation de voir que dans un pays avec une telle abondance il y ait autant de besoins», explique le restaurateur Luis Pondal.

À Salta, autre grande ville du Nord argentin, «il y a des gens qui viennent en bus aux frigos et retirent la nourriture, il y a beaucoup de pauvreté», témoigne Maria Belen Aragon, une restauratrice qui a développé ce concept dans cette région.

Dans son restaurant du quartier branché de Palermo, à Buenos Aires, elle préfère remettre en mains propres les plats, après une inspection des services de la mairie.

Faute d'une loi sur la distribution d'aliments, ces initiatives naviguent dans un flou juridique.

À Cordoba (centre), où l'on trouve plusieurs de ces frigidaires, les autorités locales songent à réduire les impôts des commerçants qui installent ces dispositifs et cherchent à mettre en place des normes de contrôle et de présentation de la nourriture proposée.

Autre initiative de ce type en Argentine : Plato lleno (Assiette pleine), une ONG qui récupère et redistribue la nourriture non consommée dans les fêtes et les événements d'entreprises.

Quelque 32 000 kilos de petits fours et autres hors-d'oeuvre ont ainsi été récupérés, soit «62 000 assiettes pleines», selon ses propres chiffres.