La présidente brésilienne vivait probablement ses dernières heures au pouvoir, mercredi soir, les sénateurs s'apprêtant à suspendre son mandat dans la nuit pour la soumettre à un procès en destitution lors d'une session historique.

Accusée par l'opposition de droite de maquillage des comptes publics, l'impopulaire dirigeante de gauche dénonce un «coup d'État» institutionnel.

Dilma Rousseff a déjà emballé ses effets personnels, a confié dans la soirée à l'AFP une source à la présidence où régnait selon lui «une ambiance d'enterrement».

Beaucoup déjà «cherchaient un nouvel emploi», selon un autre employé du Palais présidentiel du Planalto, autour duquel régnait une ambiance spectrale.

L'immense Esplanade des ministères était pratiquement déserte.

La barrière métallique installée devant le parlement pour éviter des affrontements entre militants pro et anti-Rousseff ne séparait que quelques poignées de partisans.

Les 78 sénateurs présents sur un total de 81 réunis depuis le début de la matinée pour cette session marathon, prenaient la parole à tour de rôle pendant 15 minutes pour défendre ou accabler la présidente.

À 18h30 locales, 18 sénateurs s'étaient prononcés pour l'ouverture du procès et seulement 4 contre. Le vote électronique devait intervenir tard dans la nuit de mercredi à jeudi.

L'opposition affirme disposer largement de la majorité simple requise pour suspendre Mme Rousseff de la présidence pendant un délai maximum de 180 jours et la soumettre à un procès en destitution.

«Le grand jour» 

Elle sera donc probablement remplacée dès jeudi par son ancien allié devenu rival, le vice-président Michel Temer, 75 ans, dirigeant du grand parti centriste PMDB qui avait claqué la porte de sa coalition fin mars.

Le jugement final pourrait intervenir en septembre, entre les jeux Olympiques de Rio de Janeiro (5-21 août) et les élections municipales de septembre.

Le Parti des travailleurs (PT) au pouvoir depuis 13 ans reconnaît avoir perdu la bataille arithmétique.

Mais il ne baisse pas les bras pour autant: «Nous allons continuer à dénoncer le coup d'État et nous opposer à toute tentative d'éliminer les droits conquis par les pauvres de ce pays», a déclaré à l'AFP Humberto Costa, sénateur de ce parti fondé en 1980 par l'ex-président Lula (2003-2010).

Quelque 40 millions de Brésiliens sont sortis de la misère en 13 ans de gouvernements PT, grâce à des programmes sociaux en faveur des plus défavorisés et à un contexte économique longtemps favorable.

«Le grand jour est arrivé! Nous allons rendre son pays au peuple brésilien et le débarrasser du gang du PT», a lancé le sénateur Ataïde Oliveira, membre de PSDB (centre-droit), le principal parti de l'opposition.

Ancien ministre de Lula, le sénateur Cristovam Buarque a voté pour l'«impeachment» en accusant la gauche au pouvoir depuis 13 ans de s'être «éloignée de la démocratie».

L'opposition accuse la présidente d'avoir commis un «crime de responsabilité» en maquillant sciemment les comptes publics pour dissimuler l'ampleur des déficits en 2014, année de sa réélection disputée, et en 2015.

Mme Rousseff, qui a promis mardi de lutter «par tous les moyens légaux et de combat» contre sa destitution, allègue que tous ses prédécesseurs ont eu recours à ces tours de passe-passe budgétaires sans avoir jamais été inquiétés.

Et elle avait accusé le vice-président Temer et ses alliés de vouloir utiliser la procédure de destitution «pour procéder à une élection indirecte dont le peuple est exclu».

Le pape concerné

Lors de son audience hebdomadaire sur la place Saint-Pierre à Rome, le pape François a dit espérer que le Brésil, «en ces moments de difficultés, avance sur le sentier de l'harmonie et de la paix, avec l'aide de la prière et du dialogue».

Géant émergent d'Amérique latine de 204 millions d'habitants et septième économie mondiale, cette jeune démocratie connaît actuellement une des périodes les plus tourmentées de son histoire, avec une triple crise suraiguë, économique, politique et morale.

Le Brésil est englué dans sa pire récession économique depuis des décennies: PIB en recul de 3,8% en 2015 et probablement autant en 2016, envolée de la dette, des déficits, du chômage, inflation proche des 10%.

Et une grande partie de l'élite politique est impliquée dans l'énorme scandale de corruption Petrobras, notamment le PT et le PMDB de Michel Temer.

La procédure de destitution a été approuvée le 17 avril par une écrasante majorité de députés et transmise au Sénat.

La justice a mercredi douché l'un des derniers espoirs de cette ancienne guérillera torturée sous la dictature militaire (1964-1985). Un juge du Tribunal suprême a rejeté un recours de la dernière heure lui demandant d'annuler la procédure.

La défense de la présidente mettait en cause les «abus de pouvoir» du président du Congrès des députés Eduardo Cunha, suspendu la semaine dernière de ses fonctions pour entrave à la justice.