La justice brésilienne a écarté jeudi de ses fonctions le controversé président du Congrès des députés Eduardo Cunha pour entrave à la justice, dans un nouveau rebondissement de la crise politique qui ébranle le plus grand pays d'Amérique latine.

Visé par de multiples accusations de corruption dans le cadre du scandale Petrobras, M. Cunha a tiré depuis décembre les ficelles de la procédure d'impeachment de la présidente de gauche Dilma Rousseff tout en freinant une procédure de destitution le concernant devant la commission d'éthique de la chambre basse.

Un juge du Tribunal suprême fédéral brésilien (STF), Teori Zavaski, a estimé qu'il avait usé de ses fonctions «dans son propre intérêt et de façon illicite pour empêcher que les investigations à son encontre n'arrivent à leur terme», dans une décision susceptible d'appel dont l'AFP a obtenu copie.

Ce magistrat de la plus haute juridiction du pays a donc décidé de suspendre M. Cunha de ses fonctions de député et de son mandat de président de la chambre des députés, faisant droit à des réquisitions du procureur général du Brésil Rodrigo Janot.

Député évangélique ultraconservateur, Eduardo Cunha, 57 ans, est le plus farouche adversaire de la présidente de gauche Dilma Rousseff, sur le point d'être écartée du pouvoir dans le cadre de sa procédure de destitution pour de présumés maquillages des comptes publics.

Il incarne l'aile dure du grand parti centriste PMDB du vice-président Michel Temer, qui a claqué en mars la porte de la coalition présidentielle dirigée depuis 2003 par le Parti des travailleurs (PT, gauche).

«Disqualifié»

Les sénateurs doivent se prononcer le 11 mai par un vote à la majorité simple sur l'ouverture formelle d'un procès en destitution de Mme Rousseff, pour maquillages présumés des comptes publics. Elle serait alors écartée du pouvoir pendant au maximum six mois (180 jours) en attendant le jugement final des sénateurs.

L'issue de ce vote ne fait pratiquement plus aucun doute et le vice-président Temer se prépare déjà à former un nouveau gouvernement. S'il n'avait pas été écarté de ses fonctions, M. Cunha serait alors devenu second dans l'ordre de succession.

«Il n'existe pas le moindre doute que le suspect (M. Cunha) ne présente pas les conditions personnelles minimales pour exercer en ce moment, dans leur plénitude, les fonctions de président de la Chambre des députés, ce qui le qualifie encore moins pour la substitution de la présidence de la République», écrit le juge du STF Teori Zavaski.

La décision du haut magistrat a pris tout le monde par surprise à Brasilia, à commencer par M. Cunha lui-même qui se l'est vue notifier tôt dans la matinée par un huissier de justice à sa résidence où il était retranché.

«Acte de vengeance»

D'autant qu'une réunion collégiale du STF était fixée dans l'après-midi pour décider si M. Cunha pouvait continuer à exercer ses fonctions tout en étant formellement en instance de jugement pour corruption dans le dossier Petrobras.

M. Cunha est actuellement accusé devant le STF pour avoir dissimulé sur des comptes en Suisse au moins 5 millions de dollars (6,4 millions de dollars CAN) qui proviendraient de fonds détournés du groupe pétrolier étatique Petrobras.

La date de son procès dans ce volet de l'affaire n'a pas encore été fixée.

Il est par ailleurs visé par d'autres enquêtes devant le STF, pour d'autres faits présumés de corruption liés au scandale Petrobras qui éclabousse une grande partie de l'élite politique, de l'ex-président Lula, au chef de l'opposition Aecio Neves.

Eduardo Cunha a joué un rôle très critiqué dans la procédure de destitution de Mme Rousseff qu'il a jugée admissible en décembre, le jour même où la commission d'étique du Parlement décidait d'entamer une procédure sur l'éventuelle cassation de son propre mandat avec le soutien des députés du Parti des travailleurs (PT) de Mme Rousseff.

Il a ensuite mené la procédure au pas de charge, tout en usant d'incessants artifices règlementaires pour freiner les travaux de la commission d'éthique à son encontre.

Son rôle trouble a donné du grain à moudre au camp de Dilma Rousseff qui se dit victime d'un «coup d'État parlementaire» ayant pour origine un «acte de vengeance personnel» du sulfureux président de la Chambre basse.

Dilma Rousseff promet de «continuer à se battre»

La présidente Rousseff a de son côté promis de «continuer à se battre» pour revenir au pouvoir en cas de destitution, dans une interview diffusée jeudi par la BBC, à quelques jours de sa très probable mise à l'écart.

«Nous allons continuer à nous battre pour retourner au gouvernement. Nous allons résister, résister et résister», a martelé Mme Rousseff, interrogée mercredi par la chaîne d'information britannique à Brasilia.

«Ce processus de destitution est illégitime, illégal», a-t-elle ajouté affirmant vouloir «lutter jusqu'au bout» pour son retour au pouvoir et «contre cette procédure d'impeachment».

«Ne comptez pas sur moi pour démissionner», a assuré Dilma Rousseff. «Si je démissionne, la preuve vivante qu'il y a un coup d'État (...) disparaît.»

«Je risque de ne pas assister aux Jeux olympiques comme présidente», a déploré Mme Rousseff. «La crainte que ce ne soit pas moi, mais une personne qui a usurpé mon poste me laisse un sentiment de tristesse et d'injustice».

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Dilma Rousseff