La gauche brésilienne emmenée par son leader charismatique, l'ex-président Lula, a manifesté vendredi dans tout le pays pour faire barrage à ce qu'elle qualifie de «coup d'État» se tramant contre la présidente Dilma Rousseff, menacée de destitution au Parlement.

Quelque 267 000 militants et sympathisants de gauche ont manifesté aux couleurs rouges du Parti des travailleurs (PT) au pouvoir, dans 55 villes du pays, selon des estimations de la police ville par ville compilées par le site d'information G1 dans la soirée.

C'est 10 fois moins que lors des manifestations monstres de dimanche pour réclamer le départ de la présidente, qui avaient rassemblé trois millions de Brésiliens, selon la police et le même système de décompte.

Le PT et les organisateurs des manifestations de vendredi ont revendiqué de leur côté 1,2 million de manifestants.

En dehors de Sao Paulo (sud-est), où ont défilé 80 000 partisans du gouvernement selon la police, les plus importantes manifestations ont eu lieu dans le nord et le nord-est, bastions électoraux historiques du PT.

C'est dans ces régions parmi les plus pauvres du Brésil que les populations ont le plus profité du boom socio-économique des années Lula (2003-2011) et de ses programmes sociaux en faveur des plus démunis.

Selon la police, 100 000 personnes ont ainsi manifesté à Sobral, dans l'État misérable du Ceara (nord-est), 60 000 à Salvador de Bahia (nord-est), 20 000 à Joao Pessoa (nord-est) 15 000 à Recife (nord) et 17 000 à Natal (nord-est).

Lula ovationné

«Nous n'allons pas accepter qu'il y ait un coup d'État au Brésil!», a lancé Lula au micro à Sao Paulo, en tee-shirt rouge, renouant avec les accents de tribun de sa jeunesse de leader syndical.

«Il n'y aura pas de coup d'État! Il n'y aura pas de coup d'État!», a repris en choeur la marée rouge de ses partisans massés sur l'avenue Paulista, au centre de la capitale économique où Lula avait entamé sa fulgurante ascension politique.

La gauche brésilienne voulait montrer sa force dans les rues, cinq jours après les manifestations monstres de l'opposition et, surtout, au terme d'une folle semaine d'agitation et de tensions politiques durant laquelle le géant émergent d'Amérique latine a semblé vaciller sur ses bases, à quelques mois du coup d'envoi des Jeux olympiques de Rio le 5 août prochain.

«J'ai voté deux fois pour Lula et deux fois pour Dilma (Rousseff) et je ne les laisserai pas tomber», a déclaré Iraci Tulli, retraitée de 68 ans manifestant à Sao Paulo.

«Nous voulons défendre le gouvernement contre le coup d'État, défendre nos libertés et nos droits», disait de son côté Nilton Cursino, 55 ans, ouvrier du géant pétrolier brésilien Petrobras et membre du PT.

Confusion judiciaire

Au Parlement à Brasilia, la Commission spéciale de 65 députés élue la veille pour étudier la demande de destitution de la présidente à entamé ses travaux à marche forcée.

Le président du Congrès des députés Eduardo Cunha, farouche adversaire de Mme Rousseff et poursuivi dans le scandale de corruption Petrobras, a dit vouloir boucler ses travaux le plus vite possible, en un mois environ.

L'opposition accuse la présidente d'avoir sciemment maquillé les comptes publics l'année de sa réélection, en 2014, pour minimiser l'ampleur du marasme économique dans lequel est plongé le Brésil et favoriser sa réélection.

Le rapport de la Commission sera soumis à l'Assemblée plénière du Congrès des députés, où un vote des deux tiers (342 sur 513) est requis pour que soit prononcée la mise en accusation de la présidente devant le Sénat. Sinon la procédure sera enterrée.

En cas de mise en accusation, la présidente serait d'abord écartée de ses fonctions pendant 180 jours au maximum. Il faudrait ensuite les deux tiers des sénateurs (54 sur 81) pour la destituer, faute de quoi elle reprendrait ses fonctions.

Ancienne guérillera torturée sous la dictature, Dilma Rousseff a affirmé sa détermination à se battre jusqu'au bout.

«Les cris des putschistes ne vont pas me faire dévier de mon cap», a-t-elle lancé jeudi pendant la cérémonie de prise de fonction de Lula, son prédécesseur et mentor.

La guérilla judiciaire sur la prise de fonction de Lula au gouvernement en tant que chef de cabinet - un quasi premier ministre de Dilma Rousseff - s'est poursuivie dans la plus grande confusion.

Des juges ont suspendu en référé sa prise de fonction, estimant qu'en le protégeant des poursuites pour corruption dans l'affaire Petrobras, elle constitue une entrave à la justice. Des tribunaux ont ensuite annulé ces ordonnances, au nom de la séparation des pouvoirs. Mais selon plusieurs médias brésiliens, un juge de l'Etat de Bahia a prononcé vendredi une nouvelle mesure de suspension, et une cinquantaine de demandes identiques sont examinées dans tout le Brésil.

Vendredi soir, Lula ne pouvait toujours pas exercer ses fonctions.

Rare voix en Amérique latine, avec celle du président vénézuélien Nicolas Maduro jeudi, à exprimer un soutien fort à Dilma Rousseff, le président bolivien Evo Morales a estimé vendredi que la droite brésilienne voulait asséner un «coup parlementaire et un coup judiciaire» à la dirigeante.