L'annulation de dernière minute vendredi de l'élection présidentielle controversée prévue dimanche en Haïti - pour des «raisons de sécurité» - a plongé une nouvelle fois le pays dans l'incertitude politique.

Pierre-Louis Opont, le président du conseil électoral provisoire (CEP), en charge de l'organisation des scrutins en Haïti, a justifié le report du vote, annoncé à moins de 48 heures des scrutins, par l'«ensemble d'incidents et d'actes violents sur l'ensemble des infrastructures du conseil». Il n'a donné aucune nouvelle date.

Plus d'une douzaine de bureaux électoraux ont été incendiés ou attaqués en province dans la nuit de jeudi à vendredi.

Le président du CEP a donc annoncé le report sine die des élections «pour des raisons évidentes de sécurité».

Le second tour de l'élection présidentielle et des législatives partielles étaient prévus, mais l'opposition a multiplié les manifestations pour dénoncer «un coup d'Etat électoral» fomenté par le président Michel Martelly.

Au premier tour du scrutin présidentiel le 25 octobre, le candidat du pouvoir, Jovenel Moïse, a recueilli 32,76% des voix, contre 25,29% pour Jude Célestin, qui a qualifié ces scores de «farce ridicule».

Après l'annonce de l'annulation des élections, Jude Célestin a expliqué à l'AFP qu'il considérait cela comme «une solution sage». «Tardive certes, car nous avons dépensé des sous que nous n'avions même pas, ce qui montre l'irresponsabilité de nos dirigeants. Mais mieux vaut tard que jamais» a-t-il indiqué.

Pour le candidat de l'opposition, «c'est une victoire pour la démocratie, pas seulement pour moi, car je n'étais pas le seul à combattre cette "sélection"».

Tirs à balles réelles 

M. Célestin, qui n'a pas fait campagne, avait indiqué dès lundi qu'il refusait de participer au scrutin de ce dimanche.

Aucune réaction ou commentaire du candidat du pouvoir n'a pu encore être recueillie. Son équipe de campagne a seulement précisé à l'AFP que Jovenel Moïse «est en réunion».

Les milliers de manifestants, qui avaient à nouveau pris les rues vendredi midi pour contester la tenue des scrutins, se sont réjouis à l'annonce de l'annulation, mais la liesse a été de courte durée.

Devant le siège du conseil électoral, étape prévue dans son parcours, la foule a été violemment dispersée par les policiers qui ont lancé des grenades lacrymogènes. Des tirs à balles réelles ont aussi été entendus par les journalistes de l'AFP.

La panique a alors gagné la commune de Pétionville, où se situe le siège du CEP. Une personne a été blessée par balle, trois voitures ont été incendiées et plusieurs vitrines de magasins brisées dans cette banlieue aisée de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince.

Après un premier report des scrutins présidentiels et législatifs en raison des contestations de l'opposition, cette annulation des élections plonge à nouveau Haïti dans l'incertitude. Respecter la date constitutionnelle du 7 février pour la passation du pouvoir présidentiel semble impossible.

Le président du CEP a expliqué aux journalistes lors d'un point de presse attendre «la réaction de l'exécutif pour discuter du problème avec lui, car notre interlocuteur immédiat en matière électorale c'est l'exécutif».

Un gouvernement intérimaire pourrait prendre en charge la gestion des affaires courantes après le 7 février et organiser la tenue d'élections d'ici avril, selon les informations recueillies par l'AFP auprès de diplomates.

Le président de la République Michel Martelly devait prononcer, depuis le palais national, un discours à la nation vers 21 h GMT (16 h, heure de l'Est), mais cette allocution a été annulée sans explication.

Depuis la fin de la dictature des Duvalier en 1986, Haïti connaît une crise démocratique émaillée de coups d'État et d'élections contestées qui fragilisent le développement économique du pays, encore marqué par le terrible séisme de janvier 2010 qui a fait plus de 200 000 morts.