La Cour suprême du Brésil a imposé un cessez-le-feu dans la féroce guerre de tranchées parlementaire engagée autour de la possible destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff, s'affirmant en gardien sourcilleux de la Constitution.

Mardi soir, l'un des onze juges de la plus haute juridiction du Brésil a accepté un recours du Parti communiste (PCdoB) dénonçant des irrégularités commises quelques heures plus tôt lors de l'élection de la Commission spéciale chargée d'examiner la demande de destitution de Mme Rousseff, accusée d'avoir maquillé les comptes publics.

La composition de cette commission de 65 membres a constitué un premier revers pour la présidente, car l'opposition y a remporté une majorité de sièges, mais sa suspension donne un répit d'une semaine à Mme Rousseff dans la lutte pour sa survie politique.

Le site Congresso en Foco relève mercredi «qu'au moins 20 des membres de cette commission font l'objet d'une enquête ou d'un procès à la Cour suprême pour corruption, blanchiment d'argent et délits électoraux» notamment.

Loin de lâcher prise, l'opposition multiplie les manoeuvres pour isoler Mme Rousseff, provoquant la satisfaction des marchés qui misent sur l'impeachment. La Bourse de Sao Paulo a clôturé en hausse de 3,75% mercredi.

Mardi, la procédure imposée par le président du Congrès des députés, le controversé Eduardo Cunha, par le vote à bulletins secrets a provoqué une révolte des députés de la majorité et deux urnes électroniques ont été cassées.

«Le vote à bulletin secret n'est pas prévu pour l'élection d'une commission et bafoue la Constitution», a affirmé mercredi à l'AFP Michael Mohallen à l'AFP, professeur de droit à la Fondation Getulio Vargas, de Rio.

Le juge Fachin du Tribunal suprême fédéral (STF) a donné 24 heures à Eduardo Cunha, ennemi juré de Mme Rousseff, pour «fournir des informations sur la procédure suivie».

L'impartialité de M. Cunha, quatrième personnage de l'Etat, est plus que sujette à caution dans cette affaire à rebondissements, digne d'une vraie «télénovela».

Ce député évangélique ultraconservateur qui risque lui-même son poste en raison de son implication présumée dans le scandale Petrobras a réussi mercredi à faire repousser - pour la sixième fois - le vote sur l'ouverture d'une enquête sur des comptes secrets qu'il détiendrait en Suisse, alimentés par l'argent de la corruption à Petrobras.

«Messieurs les politiques, travaillez!»

Lors d'une nouvelle séance très houleuse, le vice-président de l'Assemblée a fait en sorte de changer le rapporteur de la commission, repoussant encore le vote de 24 heures.

Dans le même temps, 35 des 66 députés du Parti Mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre droit et la principale formation politique au Congrès) décidaient de destituer leur leader au Congrès, Leonardo Picciani, le jugeant «trop proche» de la présidente.

Le journal populaire de Rio O Dia a publié mercredi en Une la lettre ouverte d'une professeur à la retraite, Sonia Maria Zampronha Roque, qui résume le sentiment de nombreux Brésiliens face à cette «guerre politique».

«Je ne supporte plus de voir le pays paralysé avec tant de problèmes (...) Ces discussions interminables basées sur des mesquineries m'écoeurent (...) Messieurs les hommes politiques, arrêtez de vous disputer et faites comme la majorité du peuple brésilien: travaillez !».

Mme Rousseff, réélue de justesse fin 2014 et qui lutte maintenant pour sa survie politique, se dit victime d'une tentative de «coup d'Etat» institutionnel «sans fondement» juridique, ourdie par une opposition n'ayant pas digéré sa défaite électorale de 2014.

Mais sa popularité est tombée à 10%, malmenée par la triple crise qui ébranle le géant d'Amérique latine: économique, politique et morale, avec le scandale Petrobras.

La présidente espérait contrebalancer l'hostilité de M. Cunha par le soutien de son vice-président Michel Temer, 75 ans, qui préside le grand parti centriste, mais ce dernier a douché ses espoirs lundi soir en lui adressant une «lettre personnelle» où il se plaint d'avoir été traité en «vice-président décoratif».

Mme Rousseff et M. Temer ont conclu mercredi soir une sorte d'armistice lors d'une réunion au palais présidentiel.

«Nous avons décidé d'avoir une relation extrêmement profitable, aussi bien personnelle qu'institutionnelle, en prenant toujours en compte les intérêts supérieurs du pays», a annoncé la présidente dans un communiqué publié après la réunion. M. Temer s'est exprimé quasiment dans les mêmes termes à sa sortie du palais présidentiel.

Deux tiers des votes des députés (342 sur 513) seront nécessaires pour prononcer la mise en accusation de Mme Rousseff devant le Sénat, qui sera justement présidé par le président du STF. Dans le cas contraire, la procédure s'arrêtera sans recours possible.