L'opposition a promis lundi d'affronter la crise économique frappant le Venezuela, au lendemain de sa victoire historique aux législatives, mais si le président Nicolas Maduro semble reconnaître sa défaite, elle devra batailler pour s'affirmer en tant que contre-pouvoir face au chavisme.

Après avoir remporté la majorité absolue au parlement, pour la première fois en 16 ans, la coalition de la Table de l'unité démocratique (MUD) «doit se réinventer» pour «faire face à la crise», a reconnu son porte-parole, Jesus Torrealba.

«Nous avons une immense responsabilité», a-t-il ajouté, saluant le «tsunami électoral» de dimanche.

Pays dont les réserves pétrolières sont les plus grandes du monde, le Venezuela a vu son économie s'effondrer ces derniers mois au même rythme que les cours du brut. Pénuries au quotidien et inflation galopante (200% selon les experts) suscitent un mécontentement populaire qui a profité à l'opposition.

Dimanche, au terme d'une journée électorale calme malgré les craintes de violences, la MUD a obtenu 99 des 167 sièges du Parlement monocaméral, contre 46 pour le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), qui en détenait 100 jusqu'alors. L'attribution de 22 sièges restait incertaine.

Dans l'attente des résultats complets, l'opposition assurait lundi compter 112 députés dans la nouvelle Assemblée qui sera installée le 5 janvier, soit la majorité des deux tiers avec à la clé d'importantes prérogatives, notamment celle de mettre en place une Assemblée constituante et celle de destituer les magistrats du Tribunal suprême de justice.

Cette victoire inédite a été saluée au plan international, le chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini la qualifiant de «vote pour le changement» et le secrétaire d'État américain John Kerry soulignant «l'irrésistible désir de changement exprimé par l'électorat vénézuélien».

Satisfait, le président-élu argentin Mauricio Macri (libéral) est revenu sur sa décision de demander l'exclusion provisoire du Venezuela du Mercosur, le marché commun sud-américain.

Outre l'absence de violences, l'autre surprise de la soirée électorale a été l'apparente docilité du président Nicolas Maduro (élu en 2013 après la mort de son prédécesseur Hugo Chavez), qui quelques jours plus tôt promettait pourtant qu'il «n'abandonner(ait) jamais la révolution» socialiste bolivarienne.

Dès l'annonce des résultats, il est apparu à la télévision, veste de survêtement rouge et visage sombre, pour reconnaître sa défaite, «une gifle» selon lui.

Réformes économiques et amnisties 

«Rappelez-vous un instant combien de personnes cette année disaient qu'il n'y aurait pas d'élections (en raison des sondages favorables à l'opposition, ndlr), que les chiffres seraient truqués ou que le gouvernement ne reconnaîtrait pas des résultats défavorables», observe David Smilde, analyste du Bureau de Washington sur l'Amérique latine (WOLA).

Selon lui, le gouvernement «doit être salué pour être allé à des élections alors que tous les sondages disaient qu'il allait perdre, et pour avoir accepté les résultats avec intégrité», mais «Maduro à la télévision a suggéré qu'il fallait radicaliser la révolution. Cela ne semble pas une lecture constructive de ces résultats».

Car pour la MUD, coalition qui devra surmonter les divisions entre la trentaine de partis la constituant, de la gauche à la droite dure, la bataille ne fait que commencer.

«Le pays, qui a supporté 17 ans de chavisme, ne va supporter personne d'autre six mois de plus» si l'on ne trouve pas de solutions à la crise, a admis Jésus Torrealba. La MUD a promis deux choses pour le premier semestre 2016: faire des réformes économiques et amnistier les 75 prisonniers politiques qu'elle a recensés.

Pour l'analyste Colette Capriles, «il va y avoir une tension entre la demande d'un changement politique et la demande de la vie quotidienne, de sortir de la crise économique et sociale».

Mais l'opposition aura, en cas de majorité encore plus large, «la possibilité de procéder à d'importants changements en matière politique et économique», assure Luis Vicente Leon, président de l'institut de sondages Datanalisis.

Edward Glossop, analyste de Capital Economics, est moins optimiste: «Même dans le scénario le plus favorable (de la majorité des deux tiers, ndlr), il est improbable que cela conduise à un grand virage vers une politique économique plus orthodoxe», dit-il, prévoyant, dans ce régime présidentiel où Nicolas Maduro a souvent le dernier mot, «une lutte désordonnée de pouvoir entre l'Assemblée et le président».

«Le risque de générer plus d'ingouvernabilité est très élevé, tant pour le gouvernement que pour l'opposition», estime la politologue Elsa Cardozo, de l'université Simon Bolivar.