Les Haïtiens, qui se sont déplacés plus nombreux dimanche pour élire notamment leur président et leurs représentants au parlement, sont bien déterminés à faire respecter leur vote afin de tenter de mettre fin à une longue crise politique qui a freiné la reconstruction du pays.

La participation aux scrutins de dimanche se situe «autour de 30%», soit davantage que lors des élections présidentielles de 2010 et 2011, a annoncé lundi le chef de la mission d'observation électorale de l'organisation des États américains (OEA), Celso Amorim, lors d'une conférence de presse.

Lors des dernières élections présidentielles, en 2010 et 2011, à peine plus de 20% des électeurs avaient voté. Cette participation est aussi de plus de 10 points supérieure à celle du précédent jour de vote, le 9 août.

L'enthousiasme régnait lundi dans les rues de la capitale Port-au-Prince, les Haïtiens s'apostrophant tout sourire pour s'assurer que leurs voisins avaient bien rempli leur devoir civique dimanche.

«On peut le faire. Oui nous, le peuple haïtien, on peut être ordonnés et voter normalement, dans le calme», a exulté Luckner Mérilien, tout en installant comme chaque matin ses tableaux d'artisanat sur les murs faisant face à l'un des grands hôtels de la capitale.

Le fastidieux travail de décompte des bulletins, qui est centralisé à Port-au-Prince, devrait durer plusieurs jours. Les résultats du scrutin présidentiel ne devraient être publiés par le Conseil électoral provisoire (CEP) que le 3 novembre. Le deuxième tour n'aura lieu que le 27 décembre.

Tous ceux qui ont voté dimanche -- 5,8 millions d'Haïtiens étaient appelés à s'exprimer dans les isoloirs -- s'accordent sur un point: il faut que les résultats annoncés soient le parfait reflet de leurs suffrages déposés dans les urnes.

Le CEP «n'a pas le choix: on a voté, on doit être respectés», a affirmé Dieujuste Thélusma, qui a voté dans la commune de Pétionville, sur les hauteurs de Port-au-Prince.

Accepter de perdre 

Cette affirmation citoyenne est une nouveauté pour le pays de la Caraïbe, d'une pauvreté extrême, où les élections précédentes ont été gagnées dans la rue et non dans les urnes.

«Pour les élections présidentielles de 1990, 2006 et 2010, ce sont les manifestations qui ont dicté les résultats», a expliqué Laënnec Hurbon, sociologue haïtien et directeur de recherches au CNRS. «En 2010, les autorités ont changé les résultats pour satisfaire ceux qui avaient gagné les rues».

Il y a cinq ans, les premiers résultats publiés par le CEP avaient exclu Michel Martelly du second tour. Sous la pression de la rue -- le pays avait été paralysé par trois jours de révolte -- mais aussi de la communauté internationale, le chanteur star du carnaval avait été repêché pour le second tour puis finalement élu président de la République en mai 2011.

Le vote n'a pas été perturbé dimanche par des violences ou des fraudes massives, mais chacun sait en Haïti que l'annonce des résultats sera l'étape décisive pour la stabilisation politique du pays.

«La grande bataille est là. S'il y a des essais de manipulation du scrutin, alors il y aura sans aucun doute des violences à travers le pays», a estimé M. Hurbon.

A ce stade, quatre candidats semblent se détacher parmi les 54 prétendants: Jovenel Moïse, Jude Célestin -- qui avait été écarté du second tour en 2010 au profit du président actuel --, Moïse Jean-Charles, farouche opposant au pouvoir en place et Maryse Narcisse, soutenue par l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, resté très populaire dans les quartiers pauvres de la capitale.

Seuls deux candidats seront retenus pour le second tour.

Si les citoyens semblent prêts à accepter le résultat du processus démocratique pour désigner leurs dirigeants, reste à savoir si les différents partis et candidats feront de même pour respecter leur engagement en faveur de la stabilisation politique du pays.

Celso Amorim exhorte donc «les partis politiques, les autorités, le peuple haïtien à avoir patience et accepter les résultats.»

Pour Laënnec Hurbon, la prochaine étape cruciale est simple: «on va voir si les gens acceptent de perdre».