Toits de maisons perforés, voitures calcinées et perforées par des dizaines d'impacts de balles, villages désertés : la route qui serpente dans la Sierra Madre (État de Durango), dans le nord-ouest du Mexique, fait apparaître les traces de la traque de «El Chapo».

Depuis, au moins deux semaines, les forces spéciales de la Marine mexicaine pourchassent ici, dans son fief, le puissant narcotrafiquant du pays en cavale, Joaquin «El Chapo» Guzman.

Les villages montagneux traversés sont totalement vides et des hommes de la Marine empêchent toute personne d'approcher d'un ranch, dans le hameau de El Limon.

Une équipe de l'AFP a été stoppée et mise en joue par les militaires à son arrivée dans ce hameau, où la tension est palpable.

Selon certains villageois, c'est ici que le 6 octobre, les forces spéciales ont commencé à tirer depuis des hélicoptères sur des habitations lors d'une opération qui s'est ensuite étendue à toute la zone.

Ayon Mendoza préparait des tortillas quand une pluie de balles s'est abattue sur sa maison. Elle a couru pour protéger son nourrisson lorsque deux hélicoptères ont frappé de nouveau le village. Elle a ensuite appris qu'une opération était en cours pour tenter de capturer le chef du cartel de Sinaloa.

Cette mère au foyer de 24 ans raconte que des dizaines de balles ont touché sa maison et que sa voiture a brûlé, ce que l'AFP a pu vérifier sur place. Mendoza a décidé de fuir, ainsi que plusieurs centaines d'habitants terrifiés des villages alentour, pour se réfugier à Cosala, dans l'État voisin de Sinaloa.

Les forces spéciales de la Marine se sont approchées de Guzman, mais le narcotrafiquant était parvenu à leur échapper, se blessant toutefois au visage et à la jambe, selon les autorités.

Le gouvernement a démenti que les Marines aient attaqué la population et la Marine a réitéré dimanche qu'elle avait respecté «strictement» les droits de l'homme.

L'évasion d'«El Chapo», 58 ans,  seulement 17 mois après son arrestation, a constitué un camouflet pour le président Enrique Peña Nieto, dont le gouvernement a depuis arrêté une douzaine de fonctionnaires.



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Le baron de la drogue, Joaquin «El Chapo» Guzman.

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Une image religieuse à l'effigie de la Santa Muerte (la sainte mort) est aperçue sur le sol couvert d'éclats de verre à côté d'une camionnette criblée de balles, au ranch El Aguila, à Tamazila, le 18 octobre. 

«Pluie de balles»

Après avoir fui leur village, Mendoza et son mari, Gonzalo Elias Pena, ont marché durant quatre jours avec leur fille de deux ans, le long des falaises de la Sierra Madre.

Manquant d'eau et de nourriture, ils sont finalement arrivés à Cosala, où plus de 600 personnes de la région ont trouvé refuge, et font des récits similaires.

«Nous avons dû marcher en pleine obscurité, car dès qu'il y avait une lumière, ils commençaient à tirer. Ça tirait dans tous les sens,» raconte Mendoza tandis qu'elle patiente avec d'autres familles déplacées afin de recevoir des vêtements et de la nourriture.

«Nous avons appris par le journal qu'ils le recherchaient (Guzman), mais il n'était pas là et ils nous ont presque tués», s'insurge son mari, Gonzalo.

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Marta Marbella, qui habite dans le village d'El Verano, a photographié avec son portable les impacts de balles sur le mur de sa maison.

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Dans le ranch El Aguila, à Tamazula dans l'État du Durango, le parebrise d'un pick-up est criblé de balles, le 18 octobre. 

Marta Marbella, qui habite dans le village d'El Verano, a photographié avec son portable les impacts de balles sur le mur de sa maison. La salle de bain, où elle s'était réfugiée avec son bébé, a été touchée. «J'ai vu l'hélicoptère s'immobiliser et commencer à tirer directement sur la maison. J'étais terrifiée, je criais et pleurais, même si je savais que ça ne servait à rien».

Francisca Quintero Sanchez, 40 ans, a couru, lui, se cacher sous un lit avec ses trois enfants quand une «pluie de balles» s'est abattue autour. «C'était un moment de terreur, (...) on pensait qu'ils allaient nous tuer», raconte cet agriculteur. «Leurs uniformes indiquaient 'Marine'. Certains pensent que nous sommes idiots parce que nous sommes des agriculteurs, mais nous savons lire et écrire».

Le lendemain, Marbella, Quintero et d'autres habitants d'El Verano ont décidé de parler aux soldats de la Marine, qui leur ont dit qu'ils cherchaient «quelqu'un d'accompagné par beaucoup d'autres personnes».

Les soldats leur ont expliqué qu'ils avaient tiré parce qu'ils étaient attaqués, ce que des femmes ont démenti.

Aucun blessé n'a été signalé, mais selon député local, il y aurait huit disparus.

Le gouvernement fédéral a annoncé pour sa part que la traque de l'homme le plus recherché du Mexique se poursuivait dans le secteur.

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Une camionnette incendiée est vue sur le terrain du ranch Comedero Colorado, le 18 octobre.

Plusieurs voitures calcinées ont été retrouvées dans la région de la Sierra Madre, fief d'«El Chapo».