Déchirée par plus d'un demi-siècle de combats, la Colombie entrevoit enfin la paix au lendemain d'un accord crucial entre le gouvernement et la guérilla des FARC, l'un des principaux acteurs du plus ancien conflit armé d'Amérique latine.

La photo de la poignée de main historique entre le président Juan Manuel Santos et Timochenko, le chef des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), faisait jeudi la une des journaux. El Tiempo titrait sur la «date limite pour signer la paix», El Espectador appelant à «bâtir un nouveau pays».

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a salué ce «progrès significatif vers la conclusion d'un accord de paix final» qui permet de «se rapprocher davantage de la fin du plus long conflit armé de l'hémisphère».

Le Vatican s'est réjoui de la «bonne nouvelle» en réponse à l'appel du pape François qui, dimanche à Cuba, avait estimé que «nous n'avons pas le droit de nous permettre un échec de plus sur ce chemin de paix et de réconciliation» des Colombiens.

M. Santos et Timochenko ont franchi une étape décisive en s'engageant à un accord de paix d'ici à mars 2016, après avoir signé un document sur le sort judiciaire des combattants, point crucial des négociations entamées en novembre 2012. Jeudi à La Havane, les négociateurs ont promis d'«appuyer sur l'accélérateur» pour tenir le délai de six mois.

«Grand pas en avant» 

La rencontre inédite du chef de l'État et du guérillero, qui vit dans la clandestinité, semblait impensable il y a peu.

M. Santos n'était pas retourné à La Havane depuis l'ouverture des pourparlers avec la rébellion marxiste, sous les auspices de Cuba et de la Norvège. Quant à Rodrigo Londoño, plus connu sous ses noms de guerre de Timoleon Jimenez ou de Timochenko, les multiples poursuites à son encontre, entre autres pour terrorisme et homicide aggravé, ont été suspendues afin de lui permettre d'y aller.

Reflétant les termes du chef de l'État qui a salué «un pas énorme» vers la paix, le secrétaire général de l'Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, a parlé jeudi d'un «grand pas en avant» et le chef de la diplomatie de l'Union européenne (UE), Federica Mogherini, de «pas en avant décisif».

La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Besouda, s'est félicitée que le document signé prévoie une «juridiction spéciale pour la paix» et mette «fin à l'impunité pour les crimes les plus graves».

M. Santos, dont l'escale à Cuba avait été annoncée mercredi à l'aube, est parti jeudi pour New York où il interviendra mardi devant l'Assemblée générale de l'ONU sur le thème du «Chemin vers la paix, la sécurité et les droits de l'homme».

Mais si la Colombie entrevoit la fin d'«une longue nuit», selon son président, il lui reste encore des obstacles à franchir. Car, bien qu'acteur majeur du conflit, les FARC, créées en 1964 et qui comptent encore 7000 combattants, ne sont pas les seules forces non gouvernementales à y être impliquées.

Un conflit aux multiples acteurs

Au fil des décennies, se sont en effet affrontées guérillas d'extrême gauche réclamant une plus juste répartition des terres, paramilitaires d'extrême droite défendant les grands propriétaires et forces armées, sur fond d'intense trafic de cocaïne, dont la Colombie est le premier producteur mondial.

En trente ans, c'est la quatrième tentative d'en finir avec cette guerre qui a fait au moins 220.000 morts et provoqué le déplacement de six millions de personnes - tandis que, selon le Centre national de la mémoire historique, quelque 26 000 personnes restent portées disparues -, les trois précédentes ayant échoué.

M. Santos, élu en 2010 puis réélu l'an dernier, a entamé en janvier 2014 des «contacts exploratoires» avec la guérilla guévariste de l'Armée nationale de libération (ELN, 2500 combattants), sans résultats concrets.

En outre, depuis la chute des cartels de la drogue comme celui de Pablo Escobar, les bandes criminelles - ou BaCrim comme les surnomment les Colombiens - ont récupéré des paramilitaires démobilisés au début des années 2000.

«Ce n'est pas encore la paix», souligne Christian Voelkel, de l'International Crisis Group (ICG), ONG spécialisée dans le règlement des conflits. «Il manque le dialogue avec l'ELN. Puis, il y a le problème de ceux que le gouvernement appelle les bandes criminelles, et qui pour d'autres sont clairement des acteurs du conflit puisqu'ils les désignent comme des paramilitaires».