Moteurs allumés, les autobus patientent dans la station principale d'Iguala, dans le sud du Mexique, chargés de passagers, mais parfois aussi de drogue, qui pourrait être le motif de la disparition de 43 étudiants l'an dernier.

Chaque jour, environ 60 autobus transitent via la station Estrella Blanca près d'un marché animé de la ville qui, depuis le drame, s'est fait connaître comme un bastion du cartel de la drogue des Guerreros Unidos.

Mais c'est seulement cette semaine, avec la publication d'un rapport d'experts indépendants de la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), que l'usage de ces véhicules pour transporter de la drogue est apparu comme un possible motif de la disparition des étudiants.

Dans la nuit du 26 au 27 septembre, des étudiants de l'école normale rurale d'Ayotzinapa s'étaient emparés de cinq autobus avant d'être attaqués par des officiers de la police municipale, sur ordre du maire d'Iguala.

Selon les autorités, les policiers les auraient ensuite livrés aux mains du cartel des Guerreros Unidos, qui les auraient confondus avec un cartel rival et les auraient tués.

Mais le rapport indépendant publié dimanche demande aux juges d'étudier la piste d'un détournement par inadvertance d'un autobus contenant de la drogue par ces étudiants de gauche radicale.

La Commission a avancé cette hypothèse après avoir découvert qu'un cinquième bus avait été utilisé le soir du drame, mais n'était pas mentionné dans l'enquête officielle.

Des membres du gouvernement ont indiqué que les enquêteurs avaient étudié cette piste, mais que cela n'avait pas été rendu public, car il s'agissait d'un sujet « très délicat ».

Pour appuyer son hypothèse, le groupe d'experts indépendants a cité un jugement rendu à Chicago (États-Unis) contre des membres présumés des Guerreros Unidos, accusés d'avoir utilisé des autobus pour faire entrer de la drogue aux États-Unis.

Les autorités judiciaires américaines n'ont pas précisé de quelle région du Mexique provenait cette drogue, mais il a été prouvé que plusieurs suspects avaient passé des coups de fil depuis la région d'Iguala.

« Prends ce paquet »

Un responsable au sein du bureau du procureur a indiqué à l'AFP que les Guerreros Unidos cachaient de l'opium dans des paquets d'oeufs ou des bouteilles de détergent que des passagers servant de « mules » transportaient avec eux.

« Les paquets sont faciles à cacher », selon cette source qui a requis l'anonymat, précisant qu'une fois la drogue acheminée à Chicago, des autobus servaient à rapporter l'argent liquide au Mexique.

Deux conducteurs interrogés par l'AFP dans la station d'Iguala ont confirmé que des cartels utilisaient ces véhicules pour envoyer de la drogue tout en ajoutant qu'ils n'avaient jamais travaillé avec eux.

« Ils vous disent : "Prends ce paquet et livre-le" », a confié un chauffeur de la compagnie Estrella Roja, à laquelle appartenait le mystérieux cinquième bus apparaissant dans le rapport indépendant.

Un autre chauffeur de bus, qui travaille pour la compagnie Costa Line, dont deux bus ont été utilisés par les étudiants d'Ayotzinapa, ajoute que la drogue est parfois cachée dans la cabine du chauffeur.

« Ce n'est plus aussi facile, car la police fédérale fait des inspections à l'improviste », souligne-t-il.

Les responsables des deux compagnies de bus n'ont pas souhaité s'exprimer sur cette affaire.

La police au courant?

« C'est une façon plutôt facile de cacher de la drogue, qui nécessite peu de volume, mais peut être très lucrative », indique Alejandro Hope, un ancien membre des services de renseignement mexicains.

« Les stations de bus sont beaucoup moins surveillées que les aéroports », indique-t-il.

La police fédérale inspecte sporadiquement la station de bus d'Iguala et fouille les bagages à l'aide de rayons X ou de chiens renifleurs.

Un homme se présentant comme un membre des Guerreros Unidos a indiqué à l'AFP que son cartel avait expédié jusqu'à trois chargements par semaine, pouvant aller jusqu'à 90 kilos de drogue chacun, depuis Iguala.

La drogue était dissimulée dans des paquets contenant 360 oeufs, envoyés en différents endroits du pays, selon cet homme au visage balafré, dont l'appartenance à un cartel n'a toutefois pu être vérifiée de manière indépendante par l'AFP.

La police municipale d'Iguala savait que ces bus servaient à transporter de la drogue, selon lui, ajoutant que des membres de son cartel lui ont confirmé que plusieurs bus détournés par les étudiants « contenaient de la drogue ».