Une foule de Guatémaltèques enthousiastes célébrait mardi la levée historique de l'immunité du président Otto Pérez, qui sera désormais poursuivi pour corruption, dans un climat de protestation populaire inédit dans le pays.

Spontanément, des centaines d'habitants ont accouru devant le Parlement, qui venait d'approuver à 16h30 le retrait du bouclier judiciaire du président conservateur, grâce au vote à l'unanimité des 132 députés présents (sur 158 que compte l'assemblée).

Aux sons de trompettes, de pétards, de cris de joie, les manifestants ont ensuite rejoint la place centrale de la ville de Guatemala, où ils étaient plus d'un millier en début de soirée, malgré la pluie tropicale.

«C'est un triomphe du peuple guatémaltèque, face à l'anarchie qui régnait dans ce pays», témoignait à l'AFP Morel Villatoro, retraité, au milieu d'une foule agitant le drapeau blanc et bleu ciel du pays.

C'est la première fois dans l'histoire du Guatemala qu'un président perd sa protection judiciaire, ouvrant la voie à des poursuites à son encontre.

Quelques heures plus tard, la justice décrétait l'interdiction de sortie du territoire à l'encontre du dirigeant.

Cette mesure intervient alors que le pays centraméricain vit un moment de mobilisation populaire sans précédent et à quelques jours seulement des élections générales prévues dimanche, auxquelles M. Pérez, en exercice jusqu'au 14 janvier 2016, ne se représente pas, la Constitution n'autorisant qu'un seul mandat.

Des manifestations pacifiques sont organisées chaque semaine depuis avril, quand avait été révélé ce scandale de corruption auquel s'ajoutent d'autres affaires mises au jour depuis.

Pas de démission 

«C'est un jour de grande responsabilité, un jour où le peuple du Guatemala, après quatre mois de lutte, retrouve l'espoir et voit que le Parlement réagit enfin et ouvre la voie à une procédure contre un président qui n'a pas su écouter le peuple guatémaltèque», a déclaré Mario Taracena, député social-démocrate.

Le général en retraite de 64 ans, au pouvoir depuis 2012, est accusé par le parquet et une commission de l'ONU contre l'impunité (Cicig) d'avoir dirigé un système de corruption au sein des douanes, via lequel des fonctionnaires touchaient des pots-de-vin pour exonérer de taxes certaines importations.

Son ancienne vice-présidente Roxana Baldetti est elle déjà en détention provisoire dans ce dossier.

«Je peux vous le dire : je n'ai pas reçu un centime de cette structure frauduleuse», affirmait encore lundi Otto Pérez, se disant «complètement tranquille».

Mi-août, une précédente demande de levée d'immunité, avant les accusations du parquet et de la Cicig, avait échoué faute d'atteindre le nombre de votes nécessaires.

Mais face à la colère grandissante de la population, les parlementaires, qui sont nombreux à jouer leur siège lors des élections de dimanche, ont cette fois appuyé la procédure.

Le président a déposé lundi un recours devant la Cour constitutionnelle pour bloquer la procédure contre lui, avant une décision attendue d'ici jeudi.

Son porte-parole, Jorge Ortega, a à nouveau nié mardi qu'il allait démissionner, malgré les nombreux appels en ce sens d'institutions publiques dont la Cour des comptes, ainsi que du patronat.

«Le président a été très clair dans ses deux dernières déclarations aux médias de communication, en disant qu'il allait affronter la procédure» judiciaire sans quitter son poste, a-t-il déclaré.

«Un avertissement» 

Outre le départ de M. Pérez, les manifestants réclament le report des élections, souhaitant d'abord une vaste refonte du système politique pour le purger de la corruption endémique.

«Nous sommes dans une période de crise, mais au-delà de ça, c'est un avertissement pour le prochain gouvernement, pour lui dire que nous ne sommes pas endormis, nous sommes prêts», déclarait, parmi la foule de manifestants mardi, Jorge Salguero, enseignant.

Mardi, la militante indigène Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix 1992, a appelé au calme «face au risque de débordements», notamment le jour du scrutin.

Le scandale de corruption a accaparé la campagne électorale du pays, contrairement aux précédentes, plus centrées sur la violence, qui fait chaque année 6000 morts, en majorité liés au crime organisé, dans un pays de 15,8 millions d'habitants miné par le trafic de drogue et la pauvreté.

Pour Manfredo Marroquin, directeur de l'ONG Accion Ciudadana, branche locale de l'organisation anticorruption Transparency International, ce mécontentement populaire, «historique, «est comme une cocotte-minute qui a explosé».

«C'est un processus d'accumulation et cela éclate car les gens sont fatigués, épuisés par les mafias qui ont pris en otage l'État et ses institutions pour faire des affaires», explique-t-il.

Cette année déjà, les Guatémaltèques avaient vu revenir au pays l'ancien président Alfonso Portillo (2000-2004), qui a passé cinq ans en prison au Guatemala et aux États-Unis pour blanchiment d'argent.

PHOTO AP

Otto Pérez