Un départ de la présidente du Brésil Dilma Rousseff, exigé par 900 000 manifestants dimanche, pourrait être un facteur d'instabilité et endommager l'image de ce pays émergent pourvu d'institutions démocratiques solides conquises au cours des vingt dernières années, affirment des analystes.

Les protestataires, en majorité de la classe moyenne, ont défilé à travers le pays au cri de «Dehors Dilma!», réclamant de nouvelles élections ou la destitution de cette ancienne guérillera emprisonnée et torturée sous la dictature (1964-85).

Lundi encore, dans un message publié sur Facebook, l'ancien président social-démocrate (1995-2002) Fernando Henrique Cardoso, a estimé que Mme Rousseff se «grandirait» en démissionnant ou au moins en admettant les erreurs qui ont conduit son gouvernement à ce niveau de défiance.

C'est le mentor de Dilma Rousseff, Luiz Inacio Lula da Silva, qui avait succédé à M. Cardoso à la tête du Brésil de 2003 à 2010.

Dilma Rousseff, 67 ans, réélue avec 52% des voix il y a moins de huit mois contre le social-démocrate Aecio Neves, a vu sa cote de popularité dégringoler à 8%, devenant ainsi la dirigeante du Brésil la plus impopulaire en 30 ans.

Les raisons sont multiples: l'économie tourne au ralenti depuis quatre ans et sa récente récession se poursuivra en 2016, selon les dernières prévisions des marchés. L'inflation est de 9%, le chômage en hausse, les salaires baissent et le réal a perdu un quart de sa valeur face au dollar.

Face à cette situation, l'ajustement budgétaire en cours est ressenti comme une trahison des promesses faites par la présidente lors de sa campagne électorale.

A cela s'ajoute le vaste scandale de corruption au sein du géant public pétrolier Petrobras, qui éclabousse le gouvernement et sa coalition de centre gauche même si pour l'instant il ne touche pas la chef de l'État.

«Un remède très amer»

«La classe moyenne veut la retirer du pouvoir à n'importe quel prix, mais pour quoi faire? Pour mettre qui à la place?» s'interroge pour l'AFP André Perfeito, économiste en chef du consultant Gradual investimentos à Sao Paulo.

«Au sein du patronat et de l'élite, l'idée est que ce serait encore pire si elle sortait», ajoute-t-il. Il note qu'en cette période d'ajustement budgétaire et de licenciements, il vaut mieux avoir le Parti des Travailleurs (PT, gauche) au pouvoir que dans la rue avec les syndicats.

«L'impeachment peut être un remède très amer et les effets collatéraux très pénibles et traumatisants», alerte pour sa part Michael Mohallem, expert en politique à la Fondation Getulio Vargas (FGV, privée).

La presse brésilienne penche maintenant pour cette thèse: après avoir publié des photomontages avec la tête de la présidente sur un plateau, elle prône dans des éditoriaux qu'elle termine son mandat.

La justice électorale enquête toutefois pour déterminer si les comptes de campagne de Mme Rousseff de 2014 ont été contaminés par de l'argent détourné, ce qui pourrait conduire à l'annulation des élections et la convocation d'un nouveau scrutin.

Mauvaises alternatives 

Pour l'historien britannique Kenneth Maxwell, auteur de plusieurs livres sur le Brésil, une destitution signifierait un retour en arrière.

«Dilma peut survivre parce que les alternatives sont mauvaises. Et même ceux qui veulent la voir partir peuvent préférer une présidente faible à des membres du Parlement qui contrôlent le pays», a-t-il dit au quotidien O Globo.

«Le problème est que le successeur de Dilma serait d'un parti comme le PMDB, qui apparemment est impliqué dans un tas de scandales» de corruption, a expliqué M. Maxwell, rappelant qu'aussi bien le président de la Chambre des députés que celui du Sénat, tous deux de ce parti centriste, sont accusés de corruption. «Je demanderais de bien réfléchir à ceux qui crient "Dehors Dilma!"», a-t-il ajouté.

Les analystes se félicitent de ce que Mme Rousseff ait laissé la justice et la police enquêter librement sur la corruption dans Petrobras, une enquête qui a conduit en prison le trésorier du PT Joao Vaccari Neto, José Dirceu, ex-bras droit de l'ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, et plusieurs des plus grands entrepreneurs du Brésil comme Marcelo Odebrecht.

«Bien que fragilisée, Mme Rousseff a montré beaucoup d'indépendance et a garanti l'autonomie des institutions. Ce sont les caractéristiques d'une démocratie solide», souligne l'expert Michael Mohallem, de la FGV.