Libres après plus d'une décennie dans la prison américaine de Guantanamo, six anciens détenus, accueillis dimanche comme réfugiés par l'Uruguay, s'apprêtaient lundi à démarrer une nouvelle vie dans ce petit pays sud-américain.

«Nous apporterons seulement notre bonne volonté et des contributions positives à l'Uruguay, pendant que nous apprendrons l'espagnol et referons nos vies ici», a assuré l'un d'entre eux, Omar Abou Faraj, dans une lettre ouverte envoyée au journal El Pais.

«Je n'ai pas de mot pour exprimer à quel point je suis reconnaissant», a-t-il poursuivi, «pour l'immense confiance que vous, le peuple uruguayen, avez placée en moi et les autres prisonniers en nous ouvrant les portes de votre pays», le premier d'Amérique du Sud à accueillir ainsi des anciens détenus de Guantanamo.

Les six hommes, quatre Syriens, un Palestinien et un Tunisien, sortiront de l'hôpital «dans quelques heures (...) et s'intégreront à la vie courante», a annoncé dans la matinée le ministre de la Défense Eleuterio Fernandez Huidobro.

Après avoir reçu une «approbation pour transfèrement» des autorités américaines, ils avaient été emmenés, à leur arrivée à Montevideo, à l'hôpital militaire afin d'être soumis à des examens.

Cette étape médicale «est la seule chose qui les empêche d'être aujourd'hui dans les rues de Montevideo, à se promener comme le ferait le fils d'un voisin», a assuré le ministre de la Défense dans un entretien avec la radio locale Carve.

En réponse lundi soir devant des journalistes, Me Cori Crider, l'une des avocates du Syrien Jihad Diyab a expliqué que «les examens médicaux se poursuivent». «Chacun (des six ex-détenus) a un état de santé différent, certains sont plutôt résistants et d'autres pourraient avoir besoin d'une attention médicale plus soutenue», a-t-elle ajouté.

Les six hommes, âgés de 30 à 40 ans, étaient parmi les premiers détenus incarcérés à Guantanamo en 2002. Il s'agit des quatre derniers Syriens - Ahmed Ahjam, Ali Hussein Shaabaan, Omar Abou Faraj et Jihad Diyab -, du Palestinien Mohammed Tahanmatan et du Tunisien Abdoul Ourgy, selon le Pentagone.

«Une prison horrible» 

Jihad Diyab, 43 ans, qui avait observé une grève de la faim en détention, avait demandé sans succès à une juge fédérale de Washington d'ordonner aux autorités de Guantanamo de cesser de l'alimenter de force.

«Il n'est pas en bonne santé» après avoir été traité de façon «extrêmement cruelle pendant presque 13 ans», a raconté lundi une autre de ses avocates, Alka Pradhan : «il peut à peine marcher, c'est une personne handicapée qui utilise une chaise roulante une grande partie du temps».

Mais «mentalement il va bien, il se concentre sur l'idée de retrouver la santé et sa famille».

Au total, 19 détenus ont été rapatriés ou renvoyés dans un pays tiers depuis le début de l'année, l'administration de Barack Obama s'efforçant d'accélérer les libérations pour vider la prison controversée et à terme la fermer, une promesse du président depuis 2008.

Sur les 779 passés par ses geôles en bientôt 13 ans, il reste désormais 136 détenus à Guantanamo, dont la plupart n'ont jamais été inculpés ni jugés. Soixante-sept sont considérés «libérables» par l'administration américaine.

«Pendant douze ans, les États-Unis m'ont emprisonné à Cuba, souvent dans des conditions cruelles, sans charges, procès ou procédure judiciaire équitable», a témoigné dans sa lettre ouverte Omar Abou Faraj, précisant que, dès 2009, la CIA avait recommandé sa libération. Mais son pays d'origine, la Syrie, était trop dangereux pour qu'il y revienne.

Celui qui était alors «le prisonnier numéro 329» a décrit Guantanamo comme «une prison horrible». «S'il n'y avait pas eu l'Uruguay, je serais encore dans ce trou noir à Cuba».

Selon son avocat, Ramzi Kassem, professeur de droit à l'Université City de New York, Omar Abou Faraj «considère désormais l'Uruguay comme son pays et n'a pas l'intention de le quitter dans l'immédiat», souhaitant chercher du travail dès que son niveau d'espagnol le lui permettra.

«Il n'est une menace pour personne», a-t-il insisté.

Ex-guérillero d'extrême gauche, José Mujica, qui quittera le pouvoir en mars, avait accepté d'accueillir ces prisonniers sous le statut de réfugiés mais le transfèrement, prévu dès août, avait pris du retard.

L'Uruguay est le premier pays d'Amérique du Sud à accueillir des anciens détenus de Guantanamo, et le deuxième d'Amérique latine, le Salvador ayant reçu en 2012 deux ex-prisonniers ouïgours, qui ont depuis quitté le pays.