Le site d'information mis en ligne mercredi à Cuba par la blogueuse dissidente Yoani Sanchez a été bloqué à Cuba quelques minutes après son lancement, ont constaté des journalistes de l'AFP.

L'internaute cubain voulant accéder au site www.14ymedio.com est automatiquement redirigé vers un autre site, www.yoanislandia.com, dénonçant les activités de la blogueuse cubaine.

«Ceci est le site d'un groupe de gens qui en ont marre que Yoani Sanchez soit présentée comme la Mère Teresa des dissidents cubains et le fétiche d'internet, alors qu'on cache ses ambitions politiques et économiques», affirme la présentation du site.

Yoani Sanchez «est probablement la Cubaine la plus riche de l'île (...) Ne vous laissez pas traiter comme un débile mental: elle n'est ni indépendante, ni journaliste, ni dissidente, ni blogueuse», ajoute le site.

Le premier média indépendant depuis un demi-siècle à Cuba a été lancé mercredi à l'initiative de la célèbre blogueuse Yoani Sanchez avec la promesse de présenter «un horizon complet d'informations, d'opinions et de faits sur la réalité de l'île».

L'apparition du nouveau média sur internet a été totalement passée sous silence par les médias officiels de Cuba, dont les autorités considèrent généralement les dissidents comme des «mercenaires» au service de la politique anticubaine des États-Unis.

«14ymedio est le fruit de l'évolution d'une aventure personnelle qui s'est transformée en projet collectif», affirme un éditorial de présentation du site www.14ymedio.com, qui inclut le blogue Generacion Y qui a fait la renommée de Yoani Sanchez depuis sept ans.

Outre un reportage sur la violence nocturne à La Havane et un entretien avec un prisonnier politique, la première édition de 14ymedio publie une lettre de 28 personnalités du monde entier demandant au gouvernement cubain de «respecter le droit» à exister du nouveau média.

«Les Cubains regardent l'avenir et ont besoin de médias qui ouvrent des espaces à un débat respectueux. Nous sommes sûrs que cette initiative contribuera à la transition pacifique vers la démocratie et à la construction d'un nouveau pays», affirme cette lettre signée notamment par le prix Nobel de littérature péruvien, Mario Vargas Llosa, et l'ex-président polonais et prix Nobel de la paix, Lech Walesa.

«Aujourd'hui, je réalise un rêve, un espace journalistique au sein duquel m'accompagnent de nombreux collègues», explique Yoani Sanchez dans son premier article pour 14ymedio.

Le nouveau site «naît avec le désir d'atteindre de nombreux lecteurs, dans et hors de Cuba, et de leur offrir un horizon complet d'informations, d'opinions et de faits sur la réalité de notre île. Cela va demander sans aucun doute beaucoup de travail», ajoute la philologue de 38 ans qui a remporté de nombreux prix internationaux pour son blogue et ses chroniques acerbes de la vie quotidienne à Cuba.

Le mari de la blogueuse, le journaliste Reinaldo Escobar, est le rédacteur en chef de 14ymedio, qui tire son nom du 14e étage où vit et travaille Yoani Sanchez à La Havane, de l'année 2014, du Y qui a fait sa réputation et du «vocable 'medio'» (média en français).

Un test pour la presse indépendante 

L'équipe de rédaction de 14ymedio, légalement enregistré à Madrid, en Espagne, compte 11 personnes et le site devrait être actualisé deux à trois fois par jour, selon les explications de ses animateurs.

En raison de la pauvreté de l'accès à internet pour la population cubaine, le nouveau média devrait également être distribué sur des supports numériques - CD, DVD, clés USB, etc -, moyens de communication favori des Cubains.

La presse indépendante a disparu de Cuba dans les années 60 sous la férule de Fidel Castro, qui a cédé le pouvoir à son frère Raul à partir de 2006.

Ce dernier a depuis entrepris des réformes économiques introduisant une part d'économie de marché et supprimé beaucoup d'interdictions qui pesaient sur les Cubains, tout en écartant toute réforme politique du régime, exclusivement dominé par le parti communiste de Cuba (PCC).

Et le régime ne cherchera sans doute pas à taire ce nouveau site d'information, selon l'analyste cubain Arturo Lopez-Levy, de l'université de Denver aux États-Unis.

«Yoani Sanchez, contrairement à ceux à l'extérieur qui la tiennent pour une des personnes les plus puissantes du monde, ne constitue pas une menace crédible ou imminente contre le monopole politique du PCC. Son pouvoir de mobilisation est minime», estime l'analyste.

«Raul Castro sait que les réformes économiques réclament des changements dans le contexte politique. La 'zone de tolérance' pour la critique et la dissidence s'est élargie, et cela au bénéfice de la viabilité à court terme du régime», ajoute Arturo Lopez-Levy.

«Les critiques et protestations de Yoani Sanchez servent de décompression au régime qui gagne ainsi du temps», juge encore l'universitaire.