Une quinzaine d'États des Caraïbes dont l'essor a été miné par des décennies d'esclavagisme entendent demander justice auprès des États occidentaux qui ont profité de ce «crime contre l'humanité».

Les dirigeants des États en question, réunis au sein de la CARICOM, ont embauché une firme d'avocats anglaise, Leigh Day, qui pourrait porter leur cause devant la Cour internationale de justice si aucun compromis n'est trouvé.

La France, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne sont les cibles premières de la démarche, qui pourrait aussi englober ultimement d'autres pays colonisateurs ayant soutenu la traite négrière et l'esclavage.

«Ces pays ont la responsabilité morale et légale de corriger les problèmes que les nations touchées rencontrent aujourd'hui», indique en entrevue l'avocat Martyn Day, qui est chargé de la cause.

Sa firme a attiré l'attention des dirigeants de la CARICOM en représentant avec succès des Kényans qui réclamaient une indemnisation pour des cas de torture survenus lors de la révolte des Mau Mau dans les années 50.

Dans la cause des pays caribéens, «le but n'est pas de quantifier les dommages subis par les personnes réduites à l'esclavage en vue d'obtenir une indemnisation par personne», dit Me Day.

Le plan conçu par la commission des réparations de la CARICOM, qui a été approuvé à l'unanimité en mars par les chefs d'État concernés, comprend 10 points qui vont bien au-delà.

Excuses sincères

Au premier plan figure la nécessité pour les gouvernements ciblés de présenter des excuses «sincères» et non de simples regrets qui reviendraient, selon la commission, à nier toute responsabilité dans les «crimes» commis.

Ils demandent par ailleurs qu'un programme de rapatriement soit mis en place pour que les descendants des 10 millions d'Africains «transportés de force vers les Caraïbes» puissent retourner dans leur pays d'origine s'ils le désirent.

Les dirigeants de la CARICOM demandent aussi que des fonds soient accordés pour permettre la création d'institutions muséales et de recherche qui permettraient aux populations locales de prendre pleinement conscience de leur histoire et de ses ramifications.

Des fonds pour lutter contre l'illettrisme et les problèmes de santé sont aussi réclamés. La prévalence élevée de maladies chroniques comme l'hypertension et le diabète peut être, selon Me Day, directement liée à la manière dont les esclaves étaient traités.

Bien que le but ne soit pas d'obtenir une indemnisation pour les familles des victimes de l'esclavage, l'avocat convient que le résultat de l'exercice risque de coûter cher aux États concernés, qui seront conviés à une conférence qui se tiendra cet été à Londres. La Cour internationale de justice sera saisie si l'exercice ne débouche sur aucun résultat concret, souligne Me Day, qui croit à ses chances d'obtenir gain de cause devant le tribunal.

Selon lui, une condamnation par la Cour internationale de justice «constituerait une source d'embarras majeure pour les pays en question», qui demeurent pour l'heure «attentistes» devant les revendications de leurs anciennes colonies.

Ce n'est pas la première fois que des États touchés par l'esclavage demandent réparation pour les torts subis à l'époque coloniale.

Haïti a notamment demandé à la France de lui verser 21 milliards de dollars en compensation de l'indemnité versée au XIXe siècle sous la contrainte pour obtenir la reconnaissance de son indépendance. Les sommes versées à l'époque devaient servir notamment à indemniser les colons, dont les fortunes avaient été largement construites sur l'esclavage.

Le président français François Hollande, tout comme l'avait fait l'ex-président Jacques Chirac 10 ans plus tôt, a opposé l'année dernière une fin de non-recevoir aux demandes à ce sujet, en évoquant «l'impossible réparation de la traite des Noirs».

Des lois pour la transparence

Aux États-Unis, des descendants d'esclaves ont tenté, au début des années 2000, de cibler des entreprises en vue d'obtenir des indemnités pour le sort subi par leurs ancêtres. Les tribunaux leur ont opposé une fin de non-recevoir, notamment en raison du lien trop ténu avec les victimes directes des actes dénoncés. Plusieurs États américains ont néanmoins adopté des lois qui obligent les sociétés ayant profité de l'esclavage à divulguer leur passé si elles souhaitent obtenir des contrats publics. Elles se voient parfois contraintes de prendre des mesures pour pallier leurs activités passées.