Les habitants d'Iquique, dans le nord du Chili, le savaient trop bien: leur sursis allait un jour prendre fin. Comme un homme qui retient sa colère, la terre sous leurs pieds accumulait la pression depuis près de 140 ans. Elle a finalement relâché son énergie au cours des derniers jours, provoquant une série de séismes. Mais les géologues donnent un avertissement: le gros de la pression n'a pas encore été évacué et les récents tremblements de terre pourraient en annoncer un beaucoup plus important. Explications en trois questions.

Les séismes au Chili étaient-ils prévisibles?

Six morts, un million d'évacués, des pannes d'électricité et des supermarchés pris d'assaut: si la série de séismes qui frappe actuellement le Chili a provoqué des dégâts limités jusqu'à maintenant, elle met la population à rude épreuve.

Les géologues ne sont pourtant pas étonnés de voir le sol trembler dans ce pays - et surtout pas dans la région d'Iquique, cette ville du Nord où les répliques quotidiennes continuent d'énerver la population.

«C'était sur le radar de tout le monde. On savait que ça allait se produire, mais la science ne peut jamais prédire à quel moment», dit Jean-Claude Mareschal, professeur au département des sciences de la Terre et de l'atmosphère à l'UQAM.

Pourquoi le sol tremble-t-il au Chili?

Le Chili s'étend sur plus de 4000 km le long du Pacifique. Sous les pieds de ses habitants, la plaque tectonique qui soutient l'océan s'enfonce sous la plaque continentale, soulevant les Andes toujours plus haut vers le ciel.

En s'écrasant l'une contre l'autre, les deux plaques génèrent une importante énergie de compression. Cette énergie est libérée périodiquement lors des tremblements de terre.

Le hic, c'est que dans une zone de 500 km autour de la ville d'Iquique, il n'y avait pas eu de tremblement de terre majeur depuis 1877.

«Cette zone était étonnamment calme. Et ça, c'est suspect. Ça veut dire que l'énergie s'accumule sans se libérer», dit Richard Allmendinger, professeur à l'Université Cornell.

Les géologues, qui avaient baptisé le phénomène «lacune d'Iquique», attendaient le jour où toute cette énergie accumulée serait relâchée. C'est ce qui est en train de se produire actuellement.

L'activité récente est-elle annonciatrice d'un séisme plus important?

Le professeur Richard Allmendinger estime qu'il reste encore beaucoup d'énergie à libérer dans la zone située sous la région d'Iquique.

«Il est très difficile de dire exactement combien, mais je dirais que les séismes qu'on a vus jusqu'à maintenant ont libéré beaucoup moins que la moitié de toute l'énergie accumulée», dit-il.

Selon l'expert, il est possible que les séismes ressentis jusqu'à maintenant soient les signes avant-coureurs d'un cataclysme beaucoup plus important dans la région - le fameux big one - qu'on redoute depuis longtemps.

M. Allmendinger rappelle que le plus important tremblement de terre jamais enregistré - qui avait frappé le Chili en 1960 avec une magnitude de 9,5 - avait été précédé d'importants séismes, dont un de magnitude 7,9. La même chose s'est produite au Japon en 2011.

Alessandro Marco Forte, professeur à l'UQAM, estime que les multiples répliques qui se font sentir dans une large région du nord du Chili depuis mardi semblent montrer que l'énergie sera plutôt libérée graduellement, en plusieurs petits évènements.

«C'est le scénario optimiste. Mais le scénario pessimiste est impossible à écarter», dit-il.

Il est aussi possible que le sol, satisfait d'avoir relâché un peu de pression, retrouve un état d'équilibre et recommence à accumuler la pression pendant plusieurs années.

«C'est un peu comme quand vous tentez d'ouvrir une fermeture éclair bloquée, illustre Richard Allmendinger. Parfois, en tirant, un maillon cède, puis tout le reste suit. Parfois, ça demeure bloqué et vous vous réessayez plus tard.»

D'autres zones à risque

Le nord du Chili n'est pas le seul endroit qui figure sur le radar des scientifiques pour ses importants risques sismiques. En voici d'autres.

Vancouver

«Il n'y a pas eu de gros tremblement de terre près de l'île de Vancouver depuis environ 300 ans, souligne Jean-Claude Mareschal, de l'UQAM. Celui qui avait eu lieu à l'époque était probablement de magnitude 9,2, donc très important. Il y a beaucoup d'énergie accumulée à cet endroit, et on arrive à la période du cycle où on pourrait voir un important séisme.»

Istanbul

On dit qu'il s'agit du «dernier domino de la chaîne à devoir tomber». Depuis 1939, une série de tremblements de terre se propage vers l'ouest le long de la faille nord-anatolienne, qui passe à 20 km au sud d'Istanbul. La perspective d'un important séisme frappant cette mégalopole de près de 15 millions d'habitants est considérée par plusieurs chercheurs comme le plus grand risque sismique qui menace actuellement la planète.

Los Angeles

Une série de séismes a secoué la Californie au cours des dernières semaines, rappelant que l'État est particulièrement sujet aux tremblements de terre. Alessandro Marco Forte, de l'UQAM, explique que le sous-sol californien est strié de plusieurs failles qui peuvent s'influencer l'une l'autre. À Los Angeles, la perspective du big one alimente les craintes depuis longtemps.

Téhéran

Le risque d'un tremblement de terre majeur est si important à Téhéran qu'il pousse régulièrement les autorités à envisager le déménagement de la capitale. Un réseau de failles situé sous la ville fait craindre le pire dans cette métropole de 8 millions d'habitants, dont les infrastructures ne sont pas prêtes à résister à un cataclysme.

New Delhi

La rencontre de la plaque tectonique indienne avec celle de l'Asie fait peser un fort risque sismique sur tout le nord de l'Inde et la région de l'Himalaya. Avec sa forte densité de population, ses infrastructures fragiles et les risques d'inondation provoqués par la présence de la rivière Yamuna, New Delhi apparaît comme l'une des villes les plus vulnérables au monde advenant un séisme.