Paradis pour la voiture mais enfer pour les piétons, la capitale mexicaine, menacée de saturation, révise son modèle de mobilité. Pendant ce temps, dans ses rues, sévit le populaire Peatónito, un héros masqué qui dirige avec humour l'insurrection des piétons.

Il marche sur le toit des voitures qui envahissent les trottoirs et entravent la circulation des personnes. Il peint des passages cloutés là où il n'y en a pas. Il entoure de cercles jaunes les trous et obstacles qui constellent la voie publique...

Armé du Code de la route et d'une bombe de peinture, Peatónito sillonne les rues de Mexico, tout de noir vêtu. En l'espace de quelques mois, ce superhéros défenseur des piétons a acquis une véritable popularité dans la capitale mexicaine. Derrière ce masque et cette cape de lutteur se cache un aimable justicier, qui sermonne gaiement les automobilistes. Neuf fois sur dix, ces derniers rient de ses facéties.

«Marcher dans cette ville s'assimile à un sport extrême. Tu risques de te faire renverser à chaque carrefour», explique ce jeune homme de 27 ans, qui préfère ne pas révéler son nom, pour mieux incarner le personnage. «Avec des amis, nous voulions sensibiliser les gens à ce problème d'une manière amusante et ludique. Nous avons donc créé Peatónito il y a un peu plus d'un an. Nous n'avions pas imaginé qu'il aurait un tel impact médiatique aujourd'hui», raconte cet ancien étudiant en science politique, qui travaille dans une organisation spécialisée dans les politiques de mobilité.

«Mon action, c'est un spectacle de culture civique», décrit Peatónito qui, environ une fois par semaine, réalise une intervention dans la rue. Plus efficace que mille discours, il mène théâtralement la première rébellion des piétons à Mexico. «Une révolution pacifique», précise-t-il. «Quand je marche sur les voitures, j'enlève d'abord mes chaussures.»

Dans la mégalopole de 25 millions d'habitants, 500 piétons meurent chaque année, soit plus de 1 par jour. Les spécialistes, avec à leur tête Peatónito, dénoncent à la fois le manque d'infra-structures publiques pour les piétons, le comportement irrespectueux ou agressif des automobilistes envers ceux-ci, et l'attitude laxiste des agents de la circulation qui évitent de sanctionner les chauffards.

«Au Mexique, quatre déplacements sur cinq s'effectuent partiellement ou totalement à pied et seulement une minorité en voiture. Or, l'espace est pensé pour l'automobile, qui a toutes les priorités, et les piétons n'ont plus qu'à s'adapter», analyse Rodrigo Díaz, architecte, urbaniste et blogueur engagé dans la défense de la cause pédestre.

Dans ce monde à l'envers, la majorité silencieuse a même été délaissée au profit des cyclistes. Cet expert considère en effet qu'à Mexico, les nombreux programmes publics qui encourageant l'usage de la bicyclette mettent en évidence l'absence cruelle de politiques à l'égard des piétons.

Les cyclistes forment un groupe urbain avec une identité claire. Or, le piéton, c'est un peu tout le monde et un peu personne. «C'est la masse invisible, qui n'a pas de signe distinctif. C'est pour cela que Peatónito joue un rôle important à Mexico: il rend le piéton visible», souligne Rodrigo Díaz.

«C'est un changement de paradigme», reconnaît de son côté Dhyana Quintanar, responsable de la planification de la voirie à la mairie de Mexico. «Nous hiérarchisons désormais les priorités en matière d'aménagements en plaçant le piéton en tête et la voiture au dernier rang.» Les observateurs saluent l'éclosion progressive d'un discours de promotion de la culture piétonne, même s'il ne se matérialise pas encore dans des politiques effectives. «L'auto-centrisme» dénoncé par Peatónito et par un secteur croissant de la société a encore de beaux jours devant lui à Mexico.