Il y a un an aujourd'hui mourait Hugo Chávez. Depuis, son protégé Nicolas Maduro a été élu à la tête du Venezuela, qui traverse sa pire crise en plus d'une décennie, avec des manifestations d'étudiants qui ont fait au moins 17 morts depuis un mois.La Pressea demandé à des spécialistes de se prononcer sur les changements survenus depuis qu'a commencé «l'ère Maduro».

Q: Quelles sont les différences entre le style de gouvernance de Hugo Chávez et celui de Nicolas Maduro?

RICARDO PENAFEL, professeur associé au département de sciences politiques de l'UQAM et chercheur au Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine- C'est paradoxal, mais Maduro est diamétralement opposé à Chávez. Alors que Chávez se décrivait comme un «humble soldat soumis à la volonté du peuple», Maduro présente Chávez comme un demi-dieu. En tant que «représentant de Chávez sur Terre», Maduro prétend «aider» ou «sauver» le peuple, alors que la révolution bolivarienne était fondée sur le rôle de protagoniste dévolu au peuple dans sa propre libération. Cette différence «rhétorique» fait en sorte que Maduro investit davantage d'énergie à gérer de manière centralisée un appareil d'État déjà défaillant qu'à dynamiser le pôle «participatif» du chavisme: les conseils communaux, les Missions (services sociaux participatifs) ou les coopératives.

EMILIANA DUARTE, analyste et blogueuse sur Caracas Chronicles, un site «d'opposition modérée» qui traite des enjeux d'actualité au Venezuela.

- De manière générale, Nicolas Maduro est moins adroit que Chávez, notamment dans la façon de faire face à la dissidence. Chávez savait jusqu'où pousser ses attaques. Maduro n'a pas cette finesse, et la preuve se trouve dans la répression brutale des manifestants de l'opposition, ces dernières semaines. Même des alliés de Maduro, dont le gouverneur socialiste José Gregorio Vielma Mora, ont critiqué sa répression violente des manifestations.

Q: Après une année au pouvoir, est-ce que Maduro a changé la trajectoire du Venezuela?

RICARDO PENAFEL - Les problèmes d'insécurité, d'inflation et de pénuries étaient présents (ou, du moins, latents) au Venezuela depuis plus de 10 ans. Le manque de charisme de Maduro fait en sorte que ces tendances structurelles empirent. Les mauvaises décisions de sa part ne font rien pour arranger les choses, mais il s'agit de problèmes hérités du passé et qui ne sont pas attribuables exclusivement au chavisme, mais à la dynamique qui existe entre la révolution bolivarienne et la «réaction» des opposants.

L'inflation, par exemple, est relative à la pression constante exercée par la fuite de capitaux réalisée par la bourgeoisie depuis l'échec de sa tentative de putsch en avril 2002 et de sa grève (lock-out) insurrectionnelle de 2002-2003. L'incapacité de Chávez autant que de Maduro à engendrer une économie sociale de remplacement pour ce boycottage de la bourgeoisie fait en sorte que des produits de base viennent à manquer dans un pays profitant d'une manne pétrolière.

EMILIANA DUARTE - Plutôt que de changer la trajectoire du Venezuela, Nicolas Maduro a passé les 10 premiers mois depuis son élection à essayer de limiter les dégâts, à essayer de contrôler les diverses factions du gouvernement Chávez qui étaient auparavant sur la même longueur d'onde et à pousser plus loin les politiques socialistes d'une autre époque. Il y a trois mois, Maduro a obtenu du Parlement une loi lui permettant de gouverner par décret, prétendument pour combattre la corruption. Or, rien n'a été fait sur ce front: plus de 30 milliards de dollars en subventions ont été assignés à des entreprises inexistantes depuis deux ans, ce sur quoi on n'a jamais enquêté, et ce qui a encore moins été puni. Aux yeux de Maduro, la moitié de la population est un ennemi qu'il faut vaincre coûte que coûte. Le Venezuela est encore plus polarisé, et la crise économique s'est accentuée.

Q: Comment se porte la liberté de la presse sous Maduro?

RACHEL JOLLEY, éditrice du magazine du groupe londonien Index on Censorship, l'une des grandes organisations de défense de la liberté d'expression dans le monde - Nous avons répertorié de sérieuses violations de la liberté de presse au Venezuela. Plusieurs menaces et attaques récentes ont eu pour cibles des journalistes qui couvrent les manifestations. Certaines de ces manifestations sont réprimées dans la violence, avec des morts, des blessés et des gens qui sont torturés et détenus arbitrairement... Dans la majorité des cas, les attaquants sont des policiers, des membres des forces armées ou des groupes civils armés progouvernementaux. Dans une société libre et ouverte, le pouvoir n'attaque pas les journalistes qui rapportent la nouvelle [comme le fait le gouvernement de M. Maduro].

EMILIANA DUARTE - Depuis la fermeture de la station RCTV en 2007, et la vente de la station Globovisión à des investisseurs proches du pouvoir, aucun média ne se permet d'être critique envers le gouvernement. Une loi interdit aux médias «d'inciter à la violence», et cette loi est utilisée à toutes les sauces par le gouvernement pour imposer des amendes aux stations de télé. Par exemple, samedi dernier, d'importantes manifestations de l'opposition avaient lieu dans plusieurs villes, mais la télé d'État diffusait des reportages sur les gens qui vont à la plage. Henrique Capriles, candidat présidentiel de l'opposition, qui a reçu 7,3 millions de votes en 2013, ne reçoit jamais de couverture médiatique en direct. Il doit diffuser ses conférences de presse sur son site internet.

Le Venezuela en chiffres

Président: Nicolas Maduro

> Population: 28 946 101 (recensement de 2011)

> PIB par habitant: 11 527$.

> Les exportations de pétrole représentent 50% des revenus du gouvernement, et 95% des exportations totales du pays.