Sans sombrer à ce jour dans le chaos, la situation restait tendue vendredi au Venezuela après plus de 15 jours d'une mobilisation étudiante qui a déjà fait quatre morts, marquée par des affrontements nocturnes entre jeunes radicaux et forces de l'ordre.

À la nuit tombée, les quartiers aisés de l'est de Caracas, bastion de l'opposition au président Nicolas Maduro, s'illuminent de feux de poubelles allumés par de jeunes protestataires, s'attirant en retour des jets de gaz lacrymogènes par la police voire ces derniers jours des tirs d'armes à feu par des groupes d'individus à moto non identifiés, dont les manifestants assurent qu'ils sont liés au pouvoir.

Preuve de tension dans l'ensemble du pays, le ministre de l'Intérieur Miguel Rodriguez a annoncé jeudi en fin de journée la mobilisation d'«un bataillon de parachutistes» pour sécuriser les accès à la ville de San Cristobal, dans l'État de Tachira (ouest), épicentre de cette mobilisation entamée début février sur le thème de l'insécurité puis du mauvais état de l'économie.

«Des Colombiens viennent mener des missions paramilitaires» à Tachira, État frontalier, a expliqué M. Rodriguez. Le président Nicolas Maduro avait dénoncé en début de semaine l'ingérence au Venezuela de la Colombie et du Chili, deux des rares pays actuellement dirigés par la droite dans la région.

Jeudi soir, Nicolas Maduro, dauphin élu en avril dernier du socialiste Hugo Chavez décédé le mois précédent, a aussi menacé de chasser du pays la chaîne américaine d'information en continu CNN, accusée de chercher à montrer que le Venezuela se trouve en état de «guerre civile».

«Il faut cesser cette propagande de guerre», a-t-il affirmé. La semaine dernière, le gouvernement avait déjà interdit la chaîne colombienne NTN24 pour avoir alimenté «l'angoisse» de la population en couvrant les violences ayant suivi une manifestation étudiante soutenue par l'opposition.

Le pouvoir, fidèle à sa rhétorique bien rodée sur l'ennemi extérieur, dénonce une volonté de coup d'État de la «droite fasciste» appuyée par les États-Unis, mais aussi l'ex-président conservateur colombien Alvaro Uribe.

«Pas détruire la ville»

À Caracas, dans le quartier huppé de Las Mercedes, siège des ambassades, de résidences de luxe et de restaurants à la mode, environ 500 jeunes gens se sont rassemblés jeudi, arborant des fleurs blanches en signe de refus de la violence.

Mais dès la nuit tombée, des groupes radicaux sont revenus occuper les rues, incendiant pneus et poubelles, se dispersant toutefois sans incidents majeurs, contrairement aux nuits précédentes.

«Nous n'allons pas nous en prendre à la police comme les autres jours. Nous ne voulons plus de violences. Nous ne voulons plus de morts, l'idée n'est pas de détruire la ville», explique ainsi à l'AFP José Gómez, étudiant en droit de 23 ans, posté à côté d'un feu sur la place Francia (est), en compagnie de quelques centaines d'autres jeunes.

Les troubles touchent également de grandes villes de province. Selon la chaîne Globovision, à Maracaibo (ouest, deuxième ville du pays), San Cristobal ou Valencia, la majorité des commerces ont réduit leurs horaires d'ouverture et les services de transports publics tournent au ralenti.

Dans les manifestations, «il y a beaucoup de groupes armés qui ne semblent pas appartenir aux corps de sécurité de l'État. Je ne comprends pas pourquoi (ils) peuvent agir librement, impunément (...) Le gouvernement doit discipliner ces groupes», a plaidé jeudi l'archevêque de Caracas Jorge Urosa, sur la télévision Globovision.

Au plan politique, l'opposant radical Leopoldo Lopez, fondateur du parti Voluntad Popular (droite), a été placé en détention provisoire dans une prison militaire, accusé «d'incendie volontaire, d'incitation à la violence, de dommages sur des biens publics et d'association de malfaiteurs» lors d'une manifestation violente le 12 février ayant fait trois morts.

Cet ancien de Harvard de 42 ans, l'un des fers de lance de la mobilisation, prône l'occupation des rues pour obtenir la chute du gouvernement - une stratégie contestée par d'autres secteurs plus modérés de la coalition d'opposition de la Table de l'unité démocratique (MUD).

Solidaire du mouvement sans y participer activement, la principale figure de l'opposition, le gouverneur et ancien candidat présidentiel Henrique Capriles, a de son côté appelé à un rassemblement samedi à Caracas pour exiger la libération des manifestants arrêtés ces derniers jours.

Il a également interpellé le président Maduro, lui enjoignant «de présenter au pays les preuves» d'un prétendu coup d'État à l'oeuvre contre lui.